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LE LIVRE

 

DU CHEVALIER

 

DE LA TOUR LANDRY

Paris.- Impr. Guiraudet et Jouaust, 358, rue Saint-Honoré.

LE LIVRE

DU CHEVALIER

DE LA TOUR LANDRY

Pour l'enseignement de ses filles

Publié d'après les manuscrits de Paris et de Londres

PAR

M. ANATOLE DE MONTAIGLON

Ancien élève de l'Ecole des Chartes

Membre résidant de la Société des Antiquaires de France

A  PARIS
Chez  P. J A N N E T, Libraire

MDCCCLIV

PRÉFACE.

 

 

Le livre du chevalier de La Tour a joui d'une grande vogue au moyen âge. Souvent transcrit par les copistes, il obtint de bonne heure les honneurs de l'impression. Publié d'abord par le père de la typographie angloise, le célèbre Caxton, qui l'avoit traduit lui-même, il fut, neuf ans après, traduit et imprimé en Allemagne , où il est resté au nombre des livres populaires. Moins heureux en France, le livre du chevalier de La Tour n'y eut que deux éditions, de la première moitié du seizième siècle, connues seulement des rares amateurs assez heureux pour en rencontrer un exemplaire, assez riches pour le payer un prix exorbitant.

En publiant une nouvelle édition de ce livre, nous n'avons pas en vue son utilité pratique. Nous voulons seulement mettre dans les mains des hommes curieux des choses du passé un monument littéraire remarquable, un document précieux pour l'histoire des


 

vj                                             PRÉFACE.

moeurs. Il est piquant et instructif, en se rappelant comme contraste les lettres de Fénelon sur ce sujet, de voir ce qu'étoit au xive siècle un livre sur l'éducation des filles.

 

I.

 

La famille du chevalier de La Tour Landry.

 

Mais, avant de parler de l'oeuvre , il convient de parler de l'auteur, et de rassembler les dates et les faits, si petits et si épars qu'ils soient, qui se rapportent à sa biographie, à celle de ses ancêtres et de ses fils : car, si son nom existe encore, l'on verra que sa descendance directe s'est bientôt éteinte, circonstance qui, en nous fixant une limite rapprochée de lui, nous obligeoit par là même d'aller jusqu'à elle , pour ne rien laisser en dehors de notre sujet. Cette partie généalogique sera la première de cette préface; nous aurons à parler ensuite de l'ouvrage lui-même, des manuscrits que l'on en connoît, et enfin des éditions et des traductions qui en ont été faites ce seront les objets tout naturels et aussi nécessaires de trois autres divisions.

Pour la première, deux généalogies manuscrites, conservées aux Manuscrits de la Bibliothèque impé­riale1, et qui nous ont été communiquées par M. La-

 

1. Toutes deux portent en tète une mention de farine un peu différente, mais de laquelle il résulte qu'elles ont été copiées sur


 

PRÉFACE.                                            vij

cabane ; le frère Augustin du Paz, dans son Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, Paris, Nie. Buon, 1621, in-f°; Jean le Laboureur, dans son Histoire généalogique de la maison des Budes, Paris, 1656, in-f°, à la suite de l'histoire du maréchal de Guébriant; le Père Anselme; Dom Lobineau et Dom Morice, dans les preuves de leurs deux Histoires de Bretagne, contiennent des renseignements précieux; mais il ne suffiroit pas d'y renvoyer, il est nécessaire de les classer et de les rapprocher.

Et d'abord, le lieu de Latour-Landry,-- siége de la famille, et qui, après avoir dû recevoir son nom de son château seigneurial et du nom d'un de ses membres, en est devenu à son tour l'appellation patronymique, - existe encore sous ce nom dans la partie de l'ancien Anjou, limitrophe du Poitou et de la Bretagne , qui forme maintenant le département de Maine-et-Loire. Il se trouve dans le canton de Chemillé, à 27 kil. de Beaupréau, entré Chollet, qui est à 20 kil, de Beaupréau, et Vezins , éloigné de 26 kil. du même endroit. Autrefois, le fief de Latour-Landry étoit « sis et s'étendant sur la paroisse de Saint-Julien de

 

la notice manuscrite, dressée par feu messire René de Quatrebarbes, seigneur de la Rongère, et communiquée au mois de mal 1692 par M. le marquis de la Rongère, son fils. Dans l'une, cette mention est de la main de d'Hozier, qui l'a signée, et qui a fait d'évi­dentes améliorations; elle est paginée 129 à 156. Comme chacune de ces copies contient des renseignements particuliers, nous désigne­rons la copie du cabinet d'Hozier, comme étant la plus complète ,par Généal. ms. 1; et l'autre, qui n'est pas copiée jusqu'au bout, par Généal. ms. 2. Quand nous citerons sans numéros, c'est que le fait se trouve dans les deux.


 

viij                           PRÉFACE.

Concelles 1 »; qui est à 15 kil. de Nantes, canton de Loroux, dans la partie bretonne du département de la Loire-Inférieure. Les restes du donjon des seigneurs subsistent encore maintenant, me dit-on , à Latour-Landry, notamment une grosse tour très an­cienne, dont on fait, dans le pays, remonter la construction au xiie siècle, et je regrette de ne pouvoir en donner de description2.

Les généalogies manuscrites commencent par le Latour-Landry du roman du roi Ponthus, roman sur lequel nous aurons à revenir plus tard, et comme, se fondant sur Bourdigné, elles mettent en 495 la descente fabuleuse en Bretagne des Sarrasins, contre lesquels ce Latour imaginaire se distingua à côté du non moins imaginaire Ponthus , le généalogiste continue fort naïvement en disant que « la chronologie, qui souvent sert de preuve pour connoître le degré de filiation, fait juger que ce Landry peut avoir été le père de Landry de Latour ! vivant en 577, et maire du palais sous Chilpéric Ier .» La copie de d'Hozier ne va pas si loin; elle se contente de le croire son grand-père. Il n'est pas difficile maintenant de dire quelque chose de plus historique.

Ainsi, je croirois membre de la famille de Latour l'Étienne de La Tour, Stefanus de Turre, qui figure comme témoin dans une pièce de 1166 3, et

 

1. Du Paz, 66o.

2. On voit encore aussi à Venins les restes d'un hôpital fondé par an Latour Landry, et aujourd'hui en ruines.

3. Dom Lobineau, Preuves, in-fo, 1707, Col. 271; et Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire de Bretagne, in-fol., 1742, col. 657,


 

PRÉFACE.                                      ix

dans une pièce de 11821 , dans ce dernier cas avec le titre , concluant pour notre supposition, de sénéchal d'Anjou. En 1200, un Landry de La Tour, sire dudit lieu , de l'Isle de Bouin, de Bourmont, de la Cornouaille, etc., eut procès à raison du tiersage de Mortaigne, à cause de l'Isle de Bouin2. Vingt ans après, on trouve un personnage de ce nom, et déjà avec le prénom de Geoffroy; au mois de mai 1220, le jour de la Trinité, un Geoffroy de La Tour est entendu à Nantes à propos du ban du sel, que se disputoient le duc de Bretagne et l'évêque de Nantes3. Trente ans après, un autre Landry de Latour échangea cette terre, déjà nommée, de l'Isle de Bouin, avec le sieur de Machecou, contre celle de Loroux-Bottereau; et, vers la fin de ce même siècle, nous retrouvons un autre Latour, encore avec le prénom de Geoffroy; car « Geuffrey de la Tor, escuier », figure avec Olivier de Rogé, Bernabes , seigneur de Derval , Guillaume de Derval et autres, dans une convention passée entre le duc de Bretagne Jean ri et les nobles, par laquelle il consent à changer le bail et gardé-noble en rachat; la pièce est datée de Nantes « le jour du samedi avant la feste Saint-Ylaire, en l'an de l'incarnation mil deus cent sessante et quinze (1276), o meis de janvier5. »

 

1. Dom Lobineau, Preuves, col. 316; et Dom Morice, Preuves, I, col. 689.

2. Généal. ms. 1.

3. Dom Lobineau, Histoire, I, 215; Preuves, col. 377; et Dom Morice, Histoire, I. 1750, p. 15o; et Preuves, I, col. 847

4. Généal. ms. 1.         -

5. Dom Lobineau, Histoire; I, 212; Preuves, col. 426 ; --et Dom Morice, Histoire, I,  p. 206; et Preuves, I, col. 1039.


 

x                                    PR É FA CE.

C'est ici seulement que nous arrivons à une filiation reconnue ; les deux généalogies manuscrites donnant pour père à notre auteur un Geoffroy, il faut croire que c'est lui dont il s'agit dans une reconnoissance du nombre des chevaliers, écuyers et archers que les seigneurs de Bretagne doivent à l'ost du duc, faite par eux à Ploerme l le jeudi après la mi-août 1294., où l'on trouve cet article parmi ceux compris sous le chef de la Baillie de Nantes : «Mon seur Geuffroy de La Tour e Guillaume Botereau e Mathé de la Celle recongneurent qu'ils devoient un chevalier d'ost, c'est assavoir le tiers d'un chevalier, par la raison de leur fiez don Lorous Botereau. 1 » Ce Geoffroy est donné comme seigneur de La Tour Landry, de Bourmont, de la Galonière, du Loroux-Bottereau, de la Cornouaille, et comme ayant été présent en 1302, « le jeudy après la Saint-Nicolas d'esté », au mariage de Jean de Savonnières. C'est à lui aussi que se doit rapporter ce fait, consigné dans Bourdigné 2, qu'en 1336, un Geoffroy de La Tour Landry étoit au nombre de ceux qui suivirent le comte d'Anjou dans sa guerre avec les Anglois et s'y conduisirent avec le plus de courage. Notre auteur parle deux fois de son père 3, mais malheureusement sans autrement le dénommer, et par conséquent sans apporter à l'assertion, très acceptable

 

1. Dont Lobineau, Hist., I, p. 282; Preuves, col. 438-, -et Dom Morice, Preuves, col. 1112.

2. Hystoire agrégative des annales et tronques d'Anjou, par Jehan de Bourdigné , 1529, in-fol., goth., f. cviij r.

3. Pages 27 et 227 de cette édition.


 

                          PRÉFACE.                                            xj

d'ailleurs, des généalogies, l'autorité irrécusable de son témoignage de fils. On a vu que je n'ai pas osé attribuer à ce Geoffroy la mention d'un Geoffroy en 1276. C'est par la considération que de 1276 à 1336 il y a soixante ans, et qu'en ajoutant les années nécessaires pour être partie dans un acte aussi important que celui de la première date, on auroit un âge de bien plus de 8o ans, acceptable en soi, mais dans lequel il est peu ordinaire de se distinguer par des exploits guerriers. Il faudroit, de plus , qu'il eût eu tout â fait dans sa vieillesse notre auteur, qui, comme on le verra, n'étoit pas le dernier de ses enfants, et n'est pas mort avant la fin du quatorzième siècle.

Je ne puis donner le nom de la femme du père de notre auteur; mais je dois au moins faire ici un rapprochement. Dans son livre, il parle, à un endroit1, de sa tante, Mme de Languillier, «dont le seigneur avoit » bien mil ve livres de rente » ; puisqu'elle étoit sa tante, elle pouvoit être la soeur de sa mère, ce qui né nous paroît pas donner son nom. Il faudroit pour cela que M. de Languillier fût son frè­re; mais, à voir la façon dont notre chevalier loue la douceur de la femme et parle du mari comme étant « à merveille luxurieux», j'avoue avoir peine à croire qu'il eût cité cet exemple, si celui qu'il blâme eût été, non pas le beau-frère, c'est-à-dire un étranger, mais le propre frère de sa mère; si, au contraire, celle ci est la soeur de la femme si digne d'être un modèle d'affection et de bon sens, le choix est très

 

1. Chap. 18, P. 37.


 

xij                                PRÉFACE.

Naturel1. Mais, je le répète, cette conclusion, que je crois la plus probable, ne nous donne pas le nom de la mère de notre Geoffroy.

En tout cas, celui-ci ne fut pas le seul enfant : car la généalogie manuscrite place comme second fils un Arquade de Bougé, en nous apprenant, de plus, qu'il épousa Anne de la Haye Passavant2, fille de Briand de la Haye et de Mahaud de Rougé, soeur aî­née de Jeanne de Bougé, et toutes deux filles de Bonnabes de Rougé. Ceci est pour nous très curieux; car, comme on verra que notre Geoffroy épousa cette Jeanne de Bougé, soeur cadette de Mahaud, - Anne de la Haye, fille de Mahaud de Rougé, soeur aînée de Jeanne, se trouvoit, en épousant Arquade, avoir sa tante pour belle-soeur. On pourroit en infé­rer aussi que, les deux belles- soeurs étant sans doute à la distance d'une génération, Arquade étoit beaucoup plus jeune que Geoffroy, son frère aîné.

La mention la plus ancienne que nous trouvions de notre auteur nous est donnée par lui-même. Il raconte dans son livre la conduite des seigneurs qui se trouvoient avec le duo de Normandie, depuis le roi Jean, au siège d'Aguillon, petite ville d'Agenois, si-

 

1. J'ajouterai que ce nom de Languillier est encore un: nom de ces provinces : car je trouve dans le Père Anselme, 11, 453 A, au commencement du xvie siècle, il est vrai, mais je ne prends le nom qu'au point de vue topographique, un Guy de Sainte-Flaive, seigneur de Sainte-Flaive en Poitou et des baronies de Cigournay, Chatonay, le Puy-Billiard et Languillier.

2. Elle portoit d'or, à deux fasces de gueules, à l'orle de merlettes, posées 4 en chef, 2 en fasce et 3 en pointe. -Généal. mes.


 

PRÉFACE.                            xiij

tuée au confluent du Lot et de la Garonne. Comme Froissart1 a parlé longuement de ce siège, qui, commencé après Pâques de l'année 1346, cette année le 16 avril, fut levé au plus tard le 22 août2, il en faut conclure que notre Geoffroy, qui en parle comme un témoin, étoit déjà en état de porter les armes. Nous sommes après cela long-temps sans le rencontrer. Au premier abord, on seroit disposé à le retrouver en 1356 dans le sire de La Tour que Froissart3, et que le prince Noir dans sa lettre à l'évêque de Worcester sur la bataille de Poitiers4, mettent au nombre des prisonniers faits par les Anglois ; mais comme Froissart, dans son énumération des seigneurs présents à la bataille, qu'il donne un peu avant5, met un sire de La Tour parmi les nobles d'Auvergne, il est probable que c'est de celui-là qu'il s'agit6, et non

 

1. Ed. Buchon, t. I, liv. i, part. 1re, p. 212-63.

2. Histoire du Languedoc de Dom Vie et de Dom Vaissette, livre xxxj, § 18 à 22; éd. in-fol., t. IV, p. 259-62; éd. in-8º, t. VII , p.161-3.

3. Froissart, éd. Buchon, liv. i, part. ij, chap. xlij, tome 1, p. 351.

4. Archœologia Britannica, in-4º, I, p. 213; et Buchon, I, 355, à la note. - Le prince de Galles le met parmi les bannerets ; et c'était aussi le titre du nôtre, ce qui rendroit l'erreur encore plus facile.

5. Froissart, Ibid., ch. xl, p. 350.

6. C'est de lui encore qu'il est question dans le grand poème de Bertrand Du Guesclin, par Cuveliers, comme étant l'un de ceux qui se joignent au duc de Berry (1372) pour aller faire le siége de Sainte-Sevère,

           Le signeur de La Tour en Auvergne fivé.

Plus loin on l'appelle

           Le signeur de La Tour qu'en Auvergne fut né.

(Collect, des docum. inédits, Chronique de Du Guesclin, publiée

 


xiv                                          PRÉFACE.

pas du nôtre, qu'il auroit certainement mis parmi les nobles de Poitou. Mais c'est bien lui qui figure le 13 juin 1363 dans «la monstre de M. Mauvinet, chevalier, et des gens de sa compagnie, sous le gouvernernent Monsieur Amaury, comte de Craon, lieutenant du roy ès pays de Touraine, Anjou et Poitou.» On y trouve le nom : « Monsieur Gieffroy de La Tour », suivi de la mention relative à l'objet de la montre : «cheval brun ; ix escus1».

C'est, comme on le verra, en 1371 et 1372 qu'il a composé son livre; à cette époque, il étoit déjà marié depuis assez long-temps pour avoir des fils et des filles dont l'âge demandoit qu'il eût à écrire pour eux des livres d'éducation. L'époque de son mariage est inconnue; mais on sait très bien le nom de sa femme. C'étoit2 Jeanne de Rougé3, dame de Cornouaille, fille puinée de Bonabes de Rougé, seigneur d'Erval4, vicomte de la Guerche, conseiller et chambellan du roi5, et de Jeanne de Maillé, dame de Clervaux, fille elle-même de Jean de Maillé, seigneur de Clervaux, et de Thomasse de Doué; la soeur aînée de Jeanne, c'est-à-dire Mahaut de Bougé, eut, comme on l'a vu, une fille, nièce de Jeanne, qui

 

par M. Charrière; II,p. 214 et 221, vers 19,,604 et 19,788.) Il est encore nommé page 224, dans la variante mise en note.

1. Dom Morice, Preuves, l, col. 1558.

2. Son père avoit déjà voulu le marier, mais le mariage avait manqué. Voy. les Enseignements, chap. 13, p. 28-9 de cette édition.

3. Genéal. mss.; Du Paz, p. 85; Le Laboureur, p. 8o.

4. Voy., sur la terre de Derval, Du Paz, p. 166.

5, Le Laboureur, p, 80.


 

PRÉFACE.                                            xv

épousa Arquade de La Tour Landry, beau-frère de celle-ci. Nous aurons encore quelques mentions à faire de Jeanne de Rougé., mais nous préférons les laisser à leur ordre chronologique.

En 1378, Geoffroy envoya des hommes au siège de Cherbourg ; mais il n'y fut pas lui-même, car, dans l'acte du «prêt fait à des hommes d'armes de la compagnie du connétable, par deux lettres du roi du 8 et 13 octobre 1378, pour le fait du siége de Chierbour», on lit à la suite de l'article M. Raoul de Montfort : « Pour M. de La Tour, banneret, un autre chevalier bachelier et onze escuiers, receus en croissance dudit Montfort, à Valoignes, le 18 nov.;à lui, dccxiv liv. 1 »

Il est probable qu'en 1379, Jeanne de Rougé, femme de Geoffroy, a été gravement malade, car, le 20 octobre de cette année2, elle fit son testament, institua ses deux exécutrices testamentaires Jeanne de Maillé, sa mère, et dame Huette de Rougé, sa soeur, dame de Roaille, et choisit sa sépulture dans l'église Notre-Dame-de-Meleray, au diocèse de Nantes, auprès de la sépulture de son père3.

En 1380, il résulte de la pièce suivante que Geof-

 

1. Dom Morice, Preuves, Il, col. 391.

2. Du Paz, 167, qui appelle Jeanne de l'Isle la mère de Jeanne de Rougé.

3. Mort deux ans après, en 1377 (Du Paz, p. 656). Un autre Messire Bonnabet de Rougé est indiqué par Bouchet (Annales d'Aquitaine, quarte partie, folio xiv comme tué à la bataille de Poitiers le 19 novembre 1356, et enterré chez les frères mineurs de Poitiers. Les armes de Rongé sont de gueules, à une croix pattée d'argent ; elles se trouvent dans l'armorial de Jean de Bonnier, dit Berry, héraut d'armes de Charles vii. (Fonds Colbert, n° 9653.5.5.)


 

xvj                                   PRÉFACE.

froy prit part à la guerre de Bretagne : « Nous, Jean de Bueil , certifions à tous par nostre serment que les personnes ci-dessous nommez ont servy le roy nostre dit seigneur en ses guerres du pays de Bretagne, en nostre compaignie et soubs le gouvernement de M. le connétable de France, par tout le mois de février passé.... M. Geuffroy, sire de La Tour, banneret.... Donné à Paris, le 3o avril, aprez Pasques 13801. » Trois ans après, nous trouvons aussi le nom de Geoffroy dans « la monstre de Monsieur l'evesque d'Angiers, banneret, d'un autre chevalier banneret , huyt autres chevaliers bacheliers et de trente et cinq escuiers de sa compagnie, reçeus ou val de Carsell le ije jour de septembre, l'an 1383. » Elle commence : « Ledit Monsr l'evesque, banneret. - Mess. Geuffroy de La » Tour, banneret, etc.2»

En 1383, la femme de Geoffroy de La Tour Landry vivoit encore : car, dans cette année même, son mari acquit avec elle le droit que Huet de Coesme, écuyer, avoit au moulin de Brifont ou de Brefoul, assis à Saint-Denis de Candé3; mais elle mourut avant lui, car il épousa en secondes noces Marguerite des Roches 4, dame de la Mothe de Pendu , qui avoit épousé en premières noces, le 28 mars 1370, Jean

 

1. Dom Morice, Preuves, t. 1, col. 244.

2. Collection Decamps ; Mss, B. l . Cette mention nous a été donnée par M. Jérôme Pichon, qui, dans une note de son excellent Ménagier de Paris , avoit annoncé l'intention de publier une édition des Enseignements; c'est à lui aussi que nous devons l'indication d'Augustin Du Paz , à qui nous aurions pu ne pas songer.

3. Généal. ms. - 4. Généal. ms.


 

PRÉFACE.                            xvij

de Clerembaut, chevalier1; comme on verra que les enfants des premiers mariages de Geoffroy et de Marguerite des Roches se marièrent entre eux, il n'est pas sans probabilité de penser que ce mariage tardif eut pour raison le desir de mêler complètement les biens des deux familles, et qu'il précéda les mariages de leurs enfants, ce qui le reporteroit avant l'année 1389.

En prenant cette date comme la dernière où nous trouvions Geoffroy, -- et il est probable que les mariages de ses enfants avec ceux de sa seconde femme, qui sont postérieurs, se firent de son vivant, il seroit toujours certain qu'il a vécu sous les règnes de Philippe vi de Valois, de Jean ij , de Charles v et de Charles vi; mais je ne puis dire en quelle année il est mort, car je ne crois pas qui il faille lui rapporter la mention du «Geoffroy de LaTour, esc., avec dix-neuf autres», cités2 parmi les capitaines ayant assisté au siège de Parthenay, qui fut fini au mois d'août 1419. Outre la qualité d'écuyer, tandis que depuis longtemps Geoffroy est toujours qualifié de chevalier banneret, les dates seroient à elles seules une assez forte raison d'en douter; en effet, les années comprises entre 1416 et 1346, première année où il soit question de Geoffroy, forment un total de 73 ans, et, comme au siège d'Aiguillon, en 1346, on ne peut pas lui supposer moins de vingt ans, il faudroit admettre .qu'il se battoit encore à 93 ans, ce .qui est à peu près inadmissible. Il faut croire que c'est un de

 

1. Anselme, VII, 983 n. - Clerembaut portoit burelé d'argent et de sable , de dix pièces. Généal. Mss.

2. Dom Morice, Preuves, 11, col. 991.


 

xviii                                        PRÉFACE.

ses fils: On n'en indique partout qu'un seul; mais il est certain qu'il en a eu au moins deux, puisque, dans son livre, nous le verrons mentionner plusieurs fois ses fils. Pour terminer ce qui le concerne, j'ajouterai que la généalogie manuscrite le qualifie de seigneur de Bourmont, de Bremont et de Clervaux en Bas-Poitou, et que Le Laboureur1 le qualifie de baron de La Tour Landry, de seigneur de Bourmont, Clermont et Frigne, et de fondateur de Notre-Dame-de-Saint-Sauveur, près de Candé, ordre de Saint-Augustin. La Croix du Maine, I, 277, le qualifie, de sieur de Notre-Dame de-Beaulieu, ce qui est vrai, tirant sans doute ce titre du propre livre de notre auteur2. Nous ne doutons pas qu'il ne se trouve plus tard d'autres mentions relatives à Geoffroy. Dans d'autres histoires généalogiques, mais surtout dans des pièces conservées aux Archives de l'Empire et aussi dans celles d'Angers, il est impossible qu'il ne s'en trouve pas incidemment de nouvelles mentions; mais il auroit fallu trop attendre pour avoir tout ce qui peut exister, et ce premier essai pourra même servir à faite retrouver le reste.

Nous pourrions arrêter ici ces détails généalogiques; mais il est difficile de ne pas dire quelques mots de ceux-là mêmes pour lesquels Geoffroy avoit écrit, et, comme sa descendance mâle s'est éteinte au bout d'un siècle, de l'indiquer jusqu'au moment où le nom, encore existant, de La Tour Lan-

 

1. Il l'appelle Georges; mais il ne s'agit pas d'un autre, puis­qu'il lui donne Jeanne de Rougé pour femme et Charles pour fils.

2. Cf. notre édition, p. 79.


 

PRÉFACE                                        xix

dry, a été transporté dans une autre famille par. un mariage. Sur toute cette descendance, M. Pochon a trouvé dans des pièces manuscrites les plus curieux et les plus abondants détails, notamment toute la procédure de l'enlèvement d'une La Tour Landry; il a tous les éléments d'une étude de moeurs historiques très intéressante et qu'il seroit malheureux de ne pas lui voir exécuter. Pour notre sujet, qui se rapporte plus particulièrement à Geoffroy et à son oeuvre, quelques indications suffiront.

Charles de La Tour Landry se maria deux fois, d'abord à Jeanne de Soude1, ensuite, le 24 janvier 13892, à Jeanne Clerembault, fille de Marguerite des Roches, seconde femme de Geoffroy, cette fois avec la clause que, si Jeanne Clerembault demeuroit héritière de sa maison, Charles et ses hoirs, issus de ce mariage, porteroient écartelé de La Tour et de Clerembault, ce qui n'arriva pas, parceque Gilles Clerembault, frère de Jeanne, devenu beau-frère de Charles de La Tour, continua la postérité. La généalogie manuscrite fait mourir Charles de La Tour au mois d'octobre 1415, à la bataille d'Azincourt, et, en effet, nous trouvons « Le seigneur de La Tour » dans «les noms des princes, grans maîtres, seigneurs et chevaliers franchois qui moururent à la bataille d'Azincourt », donnés par Jean Lefebvre de Saint­Remy à la suite de son récit3. Nous avons dejà parlé4

 

1. Généal. ms. 2. - 2. Généal. me. n. La Gén. 1. ne parle pas du nom de sa première femme. - Anselme, VII, 583D.

2. Ed. Buchon, dans le Panthéon, ch .lxivv, p. 402, - Monstrelet le cite aussi; Paris, 1603, in-fol. I, 230 vº.

3. Voy. p. xvij,


 

xx                                            PRÉFACE.

d'un Geoffroy de La Tour, figurant au siège de Parthenay en 1419, et probablement fils de l'auteur des Enseignements. Peut-être faut-il encore regarder comme un autre de ses fils un Hervé de La Tour, qui servoit comme gendarme en novembre 1415 dans la compagnie d'Olivier Duchâtel, en décembre de la même année dans celle de Jehan du Buch, en juin 1416 dans celle de Jehan Papot1. Cependant nous trouvons à la fin de la traduction de Caxton, dont nous dirons plus tard la scrupuleuse exactitude, cette phrase : as hit is reherced in the booke of my two sonnes, absente de nos manuscrits, mais qui devoit se trouver dans celui suivi par Caxton, et établiroit qu'en 1371 notre auteur n'avoit que deux fils.

Quant aux filles, elles doivent avoir été au nom­bre de trois; en effet, si aucun des manuscrits que nous avons vus ne paroît avoir appartenu à Geoffroy, --et il seroit difficile d'en être sûr, à moins d'y trouver ses armes et celles de Jeanne de Rougé, ou même de Marguerite Desroches, - toutes les fois qu'il y a une miniature initiale, on y voit toujours trois filles, et il n'est pas à croire que cette ressemblance ne soit pas originairement produite par une première source authentique. Malheureusement je n'en puis nommer qu'une, Marie de La Tour Landry, qui épousa en 13912, le 1er novembre3, Gilles Clerembault, fils de la seconde femme de Geoffroy et frère de la femme de Charles, fils de Geoffroy. Gilles Clerembault étoit chevalier, seigneur de la Plesse, et n'eut pas

 

1. Dom Morice, Preuves, II, col. 911, 913, 923.

2. Généal. mss. - 3. Anselme, ut supra.


 

PRÉFACE.                                            xxj

d'enfants1 de Marie de La Tour, morte évidemment avant 1400, puisque, le 15 octobre 1400, il épousa Jeanne Sauvage, qui lui survécut2.

Charles de La Tour Landry eut pour fils, N..., que les généalogies manuscrites font figurer, comme son père, à la bataille d'Azincourt, en disant qu'il mourut peu après de ses blessures, sans laisser d'enfants; Ponthus, qui resta le chef de la famille; et trois autres fils3, Thibaud , Raoulet et Louis , morts tous trois sans laisser d'enfants. Charles eut aussi au moins une fille, nommée Jeanne, peut-être l'aînée de tous, puisqu'on la cite la première4. Il se peut qu'elle ait été mariée deux fois , car c’est peut-être elle qu'il faut reconnoître dans la Jeanne de La Tour Landry, dame de Clervaux, qui fut femme de Jean ou Louis de Rochechouart5. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elle fut la première femme de Bertrand de Beauvau6, seigneur de Précigny, Silli-le-Guillaume et Briançon, qui devint conseiller et chambellan du roi, président en sa chambre des comptes à Paris, grand-maître de Sicile et sénéchal d'Anjou. Il sortit de ce mariage

 

1. Généal. mss,- 2. Anselme, ut supra. - 3. Généal. ms. 2.

2. Généal. mss. - Le Laboureur, p. 8o.

3. Anselme, IV, 564 B et 653 B, C.-Leur fille Isabeau épousa Renaud Chabot, qui eut un grand procès contre le seigneur de La Tour Landry au sujet de la justice de Clervaux, obtint, le 20 juin 1464, pour lui et son fils ainé , rémission d'un meurtre commis à cette occasion, et mourut vers 1476. -Anselme, ibid.

4. D'argent, à quatre lions de gueules, cantonnez, armez et lampasses d'or, à une étoile d'azur en coeur. - Sur un beau manuscrit des Ethiques en français, qui lui a appartenu, cf. M. Paulin Paris, Manuscrits françois, t. IV, 33o-2.


 

xxij                                     PRÉFACE.

trois fils et trois filles1, et Jeanne étoit morte vers 1436, puisque ce fut par contrat du 2 février 14372, que Bertrand se remaria à Françoise de Brezé; non seulement il survécut encore à celle-ci, mais, après avoir épousé en troisièmes noces Ide du Châtelet, il épousa en quatrièmes noces Blanche d'Anjou, fille naturelle du roi René, et «les armes de toutes ces alliances sont remarquées dans les églises des Augustins, Cordelières, Carmes et Jacobins d'Angers, où le corps de ladite Jeanne receut sepulture, ce qui est justifié par son tombeau3. »

Pour Ponthus, nous savons qu'il fut chevalier, seigneur de La Tour Landry, de Bourmont, du Loroux-Bottereau et baron de Bouloir en Vendomois4; il donna en 1424 aux prieur et couvent de Saint-Jean l'Evangéliste d'Angers la dixme des grains de sa terre de Cornoailles5, par acte signé de Jean de Lahève «ainsi qu'il est remarqué au trésor des tiltres de Chasteaubriant6 », et il possédoit aussi une terre que le duc de Bretagne lui confisqua, parce qu'il tenoit le parti d'Olivier de Chatillon7. Ce doit être lui qui se rendit otage à Nantes pour répondre de l'exécution du mariage (21 mars 1431) entre le comte de Montfort et Yoland, fille de la reine de Sicile8, et qui reçut ensuite une coupe dorée, en même temps que sa fem-

 

1. Voir le détail dans la Chesnaye des Bois, in-4º ,II, 318.

2. Anselme, VIII, 270 E. - 3. Généal. ms. s. - 4. Généal. Ms.1, 2 - 5. Généal. ms. 2. - 6. Généal. ms. 2. - 7. Généal. Ms. 2.

3. Histoire de Bretagne, par Dom Lobineau, Paris, in fol., I, 1706, p. 588.


 

PRÉFACE.                            xxiij

me et sa fille recevoient d'autres présents1. C'est aussi probablement lui que cite l'auteur de l'histoire d'Artus, duc de Bretaigne, dans l'énumération de ceux qui se sont trouvés à la bataille de Formigny2, le 15 avril 1450.

Il est aussi bien à croire que c'est lui qui a fait écrire par quelque clerc le roman de chevalerie de Ponthus, fils du roi de Galice, et de la belle Sidoine, fille du roy de Bretaigne, souvent réimprimé; c'étoit un moyen de populariser l'illustration de la famille et d'en faire reculer très loin l'ancienneté, - Bourdigné, comme on l'a vu, s'y est laissé prendre, -que de la mettre au milieu d'une action à la fois romanesque et à demi historique. Les La Tour Landry ont voulu avoir aussi leur roman, comme les Lusignan avoient Mélusine. Nous n'avons pas à entrer dans le détail de ce très pauvre roman, qui se passe en Galice, en Bretagne et en Angleterre, ni à suivre les péripéties des amours de Ponthus et de Sidoine, traversées par les fourberies du traître Guennelet et enfin couronnées par ,un mariage. Ce qu'il nous importe de signaler c'est la certitude de l'origine de ce roman. Le héros de l'histoire porte le nom fort particulier d'un des membres de la famille, et, parmi ses compagnons, se voit toujours au premier rang Landry de La Tour. Tous les noms propres sont de ce côté de la France; ce sont: Geoffroy de Lusignan, le sire de Laval, d'Oucelles et de Sillié, Guillaume et Benard de la Roche, le sire de Doé, Girard de Cbasteau-Gaultier, Jean

 

1. Dom Lobineau, Preuves, col. 1018; Dom Morice; Preuves, II, col. 1232-3.

2. Collection Michaud et Poujoulat, 1re série, III, 226.


 

xxiv                                      PRÉFACE

Molevrier. Les quelques noms de localités françoises concourent aussi à la même preuve : c'est à Vannes que se fait le grand tournois, et, quand l'armée se réunit, c'est à la tour d'Orbondelle, près de Talle­mont; or Talmont est un bourg de Vendée (Poitou) situé à 13 kil. des Sables. Un passage donneroit peut-être la date exacte de la composition du roman, c'est lorsque, pour réunir une armée contre les Sar­rasins, on écrit à la comtesse d'Anjou : car, dit le romancier, le comte étoit mort et son fils n'avoit que dix ans. Mais c'est trop long-temps m'arrêter à ce livre, qu'il étoit pourtant nécessaire de signaler1.

L'on ne connoît que deux enfants de Ponthus, Blanche et Louis 1er du nom. Blanche épousa Guil­laume d'Avaugour, seigneur de La Roche Mabile, de Grefneuville et de Mesnil Raoulet, bailly de Touraine, veuf de Marie de Coullietes, femme en premières noces de Gilles Quatrebarbes2. On donne ordinaire­ment cette Blanche comme fille de Louis 2e du noms3; mais la remarque de d'Hozier4 est formelle sur ce point : « Bien que les mémoires de la maison de La Tour Landry remarquent icelle Blanche de La Tour estre issue de Louis et de Jeanne Quatrebarbes; néanmoins tous les tiltres que j'ay me persuadent le contraire, et particulièrement l'arrest, sur requeste, du Parlement de Paris, que ladite Jeanne

 

1. Pour les nombreuses éditions, et les traductions en anglois et en allemand du roman de Ponthus, voyez l'excellent article de M. Bruiner, III, 812-4.

2. Généal. ms. 1. - Avaugour, d'argent au chef de gueules.

3. Généal. ms. 2. - Le Laboureur, p. 8o.

4. Généal. ms. 1.


 

PRÉFACE.                             xxv

Quatrebarbes, demeurée veufve, obtint, le dernier jour de décembre 1453, contre Blanche de La Tour, aussy veufve, où il est porté en termes exprès qu'elle estoit soeur de feu Louis de La Tour, mary de Jeanne Quatrebarbes. » Quant à Louis de La Tour, chevalier, baron dudit lieu et du Boulloir, sei­gneur de Bourmont, la Gallonnère, de la Cornouaille, de Clervaux, Rue d'Indre et Dreux le Pallateau, il épousa en 1430 Jeanne Quatrebarbes, dame de La Touche Quatrebarbes, etc., fille de Gilles Quatre­barbes et de Marie de Coullietes1. Louis étoit mort avant 1453, et, le 22 juin 1455, sa veuve, en pré­sence de son fils Christophe, ratifie un acte fait le 6 juin précédent par son procureur et le procureur de Blanche de la Tour, veuve de Guillaume d'Avaugour2. En 1458 elle fit son testament, et nomma pour ses exé­cuteurs testamentaires René, Christophe et Louis, ses enfants3.

On vient de voir les noms des trois fils de Louis; un quatrième, Geoffroy4, paroît être mort de bonne heure, puisqu'il n'a pas laissé de traces. Pour René, il se démit en 1438 de ses biens, sauf les seigneuries de la Gallonnère et de Cornouaille, en faveur de Chris­tophe, son frère puîné, ainsi qu'il est verifié dans le trésor des titres de Châteaubriant5, se fit prêtre et

 

1. Généal. ms. 1 , qui donne tous les titres de Jeanne Quatrebarbes.

2. Généal. ms. 1.

3. Des extraits de ce testament et de quelques autres pièces postérieures sont joints à la Généal. ms. 1.

4. Le Laboureur (page 8o), qui le cite avant ses frères.

5. Généal. ms, 1.


 

xxvj                         PRÉFACE.

mourut le 4 mai 14981. Pour Christophe, Bourdigné2 nous apprend qu'en 1449 il se trouva au siège de Rouen avec le duc de Calabre, fils du roi René, qui étoit allé secourir son père. En 146o , il transi­gea pour des terres avec Pierre d'Avaugour, fils de Guillaume et de Blanche de la Tour; en 1463, il donna procuration audit Pierre de recevoir les foi et hommage dus à ses terres ; en 1469, il rend adveu de la terre du Genest au comte de Monfort, et, la même année, fonde dans l'église du Genest des prières à dire le jour de la Toussaint, avant la grand'messe, pour les âmes de ses prédéces­seurs3. Il mourut sans enfants, puisque ce fut Louis, 2e du nom, qui resta chef de la famille. Il avoit épou­sé Catherine Gaudin, fille d'Anceau, sieur de Pasée ou Basée, et de Marguerite D'Espinay Lauderoude, maison alliée à celle de Laval4.

C'est en lui que s'éteignit la descendance mâle de notre Geoffroy, car Louis n'eut que des filles. On a vu que Blanche, dont on le faisoit le père, n'étoit pas sa fille, mais sa tante ; ses filles furent Françoise et Marguerite, « femme de René Bourrés5, seigneur de Jarzé, dont la postérité est tombée dans la maison Du Plessis des Roches Pichemel, de laquelle est M. le marquis de Jarzé6. » Quant à Françoise, fille aînée et principale héritière de son père Louis, elle épousa, « le 30 juillet 1494, Hardouin de Maillé, 10e du nom,

 

1. Généal. ms.; Le Laboureur, p. 8o.

2. Hystoire agrégative d'Anjou. f. cxlix. v° - 3. Généal. ms, 1.

4. Généal. ms. 1.

5. D'argent à la bande fuselée de gueules. - Généal. ms.1.

6. Le Laboureur, p. 80.


 

PRÉFACE.                      xxvij

né en 1462. Il s'obligea de prendre le nom et les armes de La Tour, sous peine de 50,000 écus; mais, après la mort de ses frères sans hoirs mâles, il se déclara aîné de sa maison, et François Ier releva ses descendants de cette obligation, leur permettant de reprendre le nom et les armes de Maillé, en y ajoutant le nom de La Tour Landry1. » Les armes de Maillé sont bien connues, d'or à trois fasces ondées de gueules; mais celles de La Tour Landry le sont bien moins, précisément à cause de l'abandon qui en fut fait. Le Laboureur (p. 8o) dit qu'elles sont d'or à une fasce crenelée de 3 pièces et massonnée de sa­ble ; Gaignières, qui les a dessinées et blasonnées de sa main sur un feuillet de papier, passé, comme toute la partie héraldique de sa collection, dans les dossiers du Cabinet des titres, nous donne de plus l'émail de la fasce, qui étoit de gueules. La description qui, s'en trouve en tête des généalogies manuscrites a un dé­tail différent : elle indique la fasce comme bretessée, c'est-à-dire crénelée, de trois pièces et demie. Il n'est pas rare de trouver une fasce crénelée de deux piè­ces et deux demi-pièces ; dans le cas de trois pièces et demie, il faudroit, sa place n'étant pas indiquée, mettre la demi-pièce à dextre; mais nous préférons nous tenir à la première armoirie, qui est la plus probable, puisqu'elle ne sort pas des conditions or­dinaires.

 

1. Anselme. VII, 502 ; et La Chesnaye des Bois, IX, 314.


 

xxviij                              PRÉFACE.

II.

Du livre des Enseignements.

 

Dès les premiers mots de son ouvrage, Geoffroy de La Tour Landry a pris soin de nous apprendre la date de sa composition, par la façon dont il entre en matière : « L'an mil trois cens soixante et onze. » Si la mention du printemps n'est pas, comme il est pos­sible, tant elle est dans le goût des écrivains de l'é­poque, une pure forme littéraire, ce seroit même au commencement de l'année, puisqu'il parle de l'issue d'avril1. Le livre ne fut fini qu'en 1372 , car nous y trouvons cette date mentionnée formellement2, et nous n'aurions pas même besoin de cela pour en être sûr, puisqu'à un autre endroit il est parlé de la bataille de Crécy comme ayant eu lieu « il y a xxvj ans » ; comme elle s'est donnée, ainsi qu'on sait, le 26 août 1346, les vingt-six ans nous auroient toujours don­né cette même date de 1372,

Il y a aussi une remarque curieuse à faire sur cette préface, c'est qu'elle a été écrite en vers, et Geoffroy, sans le vouloir, a pris soin de nous le faire toucher du doigt, quand il dit (v. p. 4) qu'il ne veut point mettre ce livre en rime, mais en prose, afin de l'abréger, c'est-à-dire de le faire plus court et plus

 

1. Pâques étant cette année-là le 6 avril, il n'y a pas lieu de changer la date de 1371 en celle de 1370.­

2. « Je vous en diray une merveille que une bonne dame me compta en cest an, qui est l'an mil trois cens lxxij. » Ch. xlix p. 103.)


 

PRÉFACE.                            xxix

rapidement. C'est la preuve la plus complète qu'il a voulu d'abord l'écrire en vers, puisqu'on retrouve dans tout ce qui précède cette remarque, non seule­ment une mesure régulière, mais presque toutes les rimes, tant il l'a peu changé en le transcrivant en prose. Pour le montrer, il suffit d'en imprimer une partie de cette façon; avec des changements absolu­ment insignifiants, on retrouve toute la phrase poé­tique :

 

L'an mil trois cens soixante et onze,

En un jardin estoys sous l'ombre,

Comme à l'issue du mois d'avril,

Tout morue, dolent et pensif;

Mais un peu je me resjouy

Du son et du chant que je ouy

De ces gents oysillons sauvaiges

Qui chantoient dans leurs langaiges,

Le merle, mauvis et mesange,

Qui au printemps rendoient louange,

Qui estoient gais et envoisiez.

Ce doulx chant me fist envoisier

Et tout mon cueur sy esjoir

Que lors il me va souvenir

Du temps passé de ma jeunesce

Comment Amours en grant destresce

M'avoient en celluy temps tenu

En son service, où je fu

Mainte heure liez, autre dolant,

Si comme fait à maint amant.

Mès tous mes maulx guerredonna

Pour ce que belle me donna, etc.

 

On pourroit encore continuer pendant plus d'une page; mais ceci suffit pleinement à la démonstra-


 

xxx                                          PRÉFACE.

tion. Du reste, nous savons de Geoffroy lui-même qu'il avoit écrit en vers :car, quelques lignes après ce que nous venons de citer, il continue je rétablis encore la forme des vers primitifs

 

En elle tout me delitoye,

Car en celluy temps je faisoye

Chançons, ballades et rondeaux,

Laiz, virelayz et chans nouveaux

De tout le mieulx que je savoye.

Mais la mort, qui trestous guerroya,

La prist, dont mainte tristeur

Ay receu et mainte douleur.

 

Sans chercher d'exemples plus anciens, ceux de Què­nes de Béthune, de Thibault de Champagne et de tant d'autres, il est moins rare qu'on ne penseroit de trouver à cette époque des grands seigneurs ayant écrit en verso Ainsi, l'historien du grand maréchal de Boucicaut , né en 1368, et fils de celui que con­nut notre Geoffroy, parle ainsi de lui : « Si preint à devenir joyeux, joly, chantant, et gracieux plus que oncques mais, et se preint à faire balade, rondeaux, virelays, lais et complaintes d'amoureux sentiment, desquelles choses faire gayement et doulcement Amour le feist en peu d'heures un si bon maistre que nul ne l'en passoit; si comme il appert par le livre des cent ballades, duquel faire luy et le seneschal d'Eu feurent compaignons au voyage d'oultre mer... Jà avoit choisy dame... et, quand à danse ou à feste s'esbatoit où elle feut, là.... chantoit chansons et rondeaux., dont luy mesme » avoit fait le dit, et les disoit gracieusement pour


 

PRÉFACE                              xxxj

donner secrètement à entendre à sa dame en se complaignant en ses rondeaux et chansons comment l'amour d'elle le destraignoit1. » Nous ne connais­sons aucune pièce de notre Geoffroy; mais il est possible qu'il y en ait dans les recueils faits au xve siècle, et, s'il s'en trouvoit portant comme suscription le nom de messire Geoffroy, on pourroit les lui at­tribuer.

Non seulement il n'écrivit pas ses Enseignements en vers, mais il ne paroît pas les avoir écrits tout entiers lui-même : car dans ce même prologue il nous dit (p. 4) qu'il emploie deux prêtres et deux clercs qu'il avoit à extraire de ses livres, « comme la Bible, Gestes des Roys et croniques de France et de Grèce et d'Angleterre et de maintes autres estranges terres», les exemples qu'il trouve bons à prendre pour faire son ouvrage. Dans tous les cas, l'esprit du temps étoit trop porté à se servir éter­nellement des faits de la Bible, de l'Évangile et de la Vie des Saints, pour que Geoffroy, n'eût-il em­ployé personne, eût échappé à cette condition de son époque ; mais c'est à l'inspiration toute religieuse de ces aides que nous devons la prédominance, ex­cellente d'intention, mais littérairement regrettable, des histoires tirées de la Bible, qui ne nous appren­nent rien. La division en neuf fautes du péché de notre première mère doit être aussi de leur fait, et je verrois encore une trace de leur collaboration dans

 

1. Le livre des faicts du bon messire Jean le Maingre, dit Bou­cicaut, maréchal de France et gouverneur de Gennes, 1re partie, ch. ix.- Collect. Michaud et Poujoulat, 1re série, t. II, p. 221.


 

xxxij                         PRÉFACE.

la manière dont le plan annoncé n'est pas suivi d’une façon régulière : car, en plus d'un endroit, l'on trouve qu'il sera parlé d'abord de telle nature d'exemples et ensuite de telle autre, et, quand cela est fini, le livra revient sur ses pas pour reprendre une partie qui avoit paru complète. Quoi qu'il en soit, que la quantité de ces exemples pieux et leur phraséologie lente, et tout à fait analogue à celle des sermons du même temps, soient ou non du fait des aides du chevalier ou du sien, la valeur et l'intérêt du livre ne sont pas là. Si tout en étoit de cette sorte, il ne serviroit à rien de le remettre en lumière, car ces histoires pieuses n'ont en elles aucune utilité, pas même celle de donner l'esprit du temps ; celui-ci est assez bien connu pour qu'on n'ait sur ce point nul besoin d'un nouvel exemple, et le livre n'est pas assez ancien pour être important comme monument de la langue, en dehors de sa valeur particulière. Ce par quoi il est curieux, c'est par les histoires contemporaines qu'il raconte c'est en nous montrant dans le monde, si l'on peut se servir de cette expression toute moderne, des personnages historiques et guerriers, comme Boucicaut et Beaumanoir, en les faisant agir et parler; c'est en nous entretenant des femmes et des modes de son temps, et, toutes les fois qu'il parle dans ce sens, soit que ces parties soient les seules écrites par le cheva­lier même, soit qu'elles lui fussent plus heureuses, son style s'allégit et prend réellement de la forme et du mouvement; si même tout en étoit de cette sorte, son intérêt et son importance en seroient singulière­ment augmentés.

Il a, du reste, eu peu de bonheur auprès de quel-


 

PRÉFACE                              xxxiij

ques uns de ses juges. L'auteur de la Lecture des Li­vres françois au xive siècle1, Gudin dans son histoire des contes2, et Legrand d'Aussy dans une no­tice spéciale3, qui, par là même, auroit dû être plus étudiée et plus juste, en portent un jugement à peu près aussi peu intelligent. Pour eux, le livre n'est composé que de capucinades ou d'obscénités. Sans y voir de capucinades, je conviendrai que tout le monde gagneroit à ce que la Bible eût été moins largement mise à contribution ; mais il n'est pas possible de trouver le livre obscène, non seulement d'intention, mais de fait. Ils se fondent sur les deux histoires de ceux qui firent fornication en l'église, sur quelques réflexions et sur quelques conclusions peut-être un peu simples et même maladroites; mais il y a loin de là à ce qu'ils disent. Il seroit d'abord difficile d'admettre qu'un homme évidemment bien élevé et des meil­leures façons de son temps, versé à la fois dans le monde et dans les livres, et qui, de plus, est le père de celles à qui il s'adresse , eût été moins réservé qu'on ne l'étoit autour de lui. De plus, en dehors de quelques passages, plutôt naïfs que grossiers, il fait preuve, au contraire, d'une délicatesse singulière ainsi il seroit difficile de trouver à cette époque une analyse et une appréciation plus fines et en même temps plus honnêtes des sentiments que les raisons mi­-

 

1. Mélanges tirés d'une grande bibliothèque, in-8, vol. D, 1780, p. 94-6.

2. Elle forme le 1er vol. de ses Contes. Paris, Dabin, 1804, 2 vol. in-8, I, 101-8.

3. Notice des manuscrits de la Bibliothèque, in-4°,  t. V, an 7. p. 158-166.

3.


 

xxxiv                                  PRÉFACE.

ses par lui dans la bouche de sa femme, lorsqu'il a axe, elle cette conversation qui forme un des plus longs et, des meilleurs chapitres. Mais, pour dire qu'il y a dans ce livre même des grossièretés, il faut ne pas penser à ce qu'étoit la chaire à cette époque , ne pas penser à ce qu'étoient les fabliaux; or les femmes entendoient les sermons à l'église, les fabliaux dans leurs châteaux ou dans leurs maisons, où l'on faisoit venir les jongleurs. Dans ces siècles, les femmes, pour ainsi dire à aucune époque de leur vie, n'ignoroient la chose ni les mots; l'honnêteté étoit dans la con­duite et n'étoit pas encore arrivée jusqu'aux formes du langage. Il seroit plus vrai de dire, en considérant la question en connoissance de cause, que le livre du chevalier témoigne, au contraire, d'un sentiment de réserve qu'il ne seroit, à cette époque, pas étonnant d'en trouver absent.

Il y auroit encore bien d'autres choses à dire sur le livre même ; à montrer, comme Caxton et le traduc­teur allemand l'ont déjà dit, que Geoffroy n'a pas seu­lement fait un livre pour de jeunes filles, mais un livre général qui s'applique à toute la vie des femmes. Il y auroit à examiner surtout les idées d'éducation et de morale qui en ressortent, et la forme sous la­quelle elles sont présentées ; mais il seroit nécessaire de beaucoup citer, et, comme les conclusions à tirer ressortent naturellement de la lecture elle-même, il vaut d'autant mieux les laisser faire au lecteur, que le but d'une préface doit être beaucoup moins de juger complétement l'ouvrage, et d'en rendre la lec­ture inutile, que de donner les renseignements et de résoudre les questions de fait que le livre ne peut


 

PRÉFACE.                            xxxv

donner lui-même et que le lecteur ne doit pas avoir à chercher. Je dirai seulement que l'ouvrage doit moins rester dans la classe des livres si nombreux écrits pour des éducations spéciales - il y seroit par trop loin du Discours sur l'Histoire universelle et du Télémaque - qu'être joint aux livres si curieux qui sont consacrés durant tout le moyen-âge à la dé­fense ou à l'attaque des femmes. Il y tiendra sa place, du côté honnête et juste, auprès du livre de Chris­tine de Pisan, du Ménagier de Paris, -plus piquant peut-être parce qu'il est plus varié et s'occupe de la vie matérielle, mais plus bourgeois et moins élevé de ton et d'idées,- auprès d'autres livres encore qu'il est inutile d'énumérer ici. Tous ceux qui s'occuperont de l'histoire des sentiments ou de celle de l'éducation ne pourront pas ne point en tenir compte et ne pas le traiter avec la justice qu'il mérite.

Enfin, il est encore nécessaire d'ajouter que nous savons à n'en pouvoir douter , car nous l'apprenons de notre Geoffroy, qu'il avoit écrit un livre semblable pour ses fils. Il le dit positivement au commence­ment : « Et pour ce... ay-je fait deux livres, l'un  pour mes fils, et l'autre pour mes filles , pour apprendre à roumancier1... » Dans deux autres passages2 il y fait de nouveau allusion : « Par celluy vice l'en entre en trestous les autres vij vices mortels, comme vous le trouverez plus à plain ou livre­ de voz frères, là où il parle comment un hermite qui eslut celluy péchié de gloutonie et le fist et s'en-

 

1. Page 4 de cette édition.

2. Pages 175 et 179.


 

xxxvj                                       PRÉFACE.

yvra, et par celluy il cheist en tous les vij pechiez mortels, et avoit cuidié eslire le plus petit des vij » ; et plus loin, quand il parle du Christ por­tant sa croix, qui se retourne vers les saintes fem­mes, « et leur monstra le mal qui puis avint au pays, si comme vous le trouverez ou livre que j'ai fait à voz frères ». Le meilleur manuscrit de Paris avoit remarqué ce fait, car il met ici en marge cette re­marque : « Notez qu'il fist ung livre pour ses filz. » Il falloit aussi que dans un manuscrit, probablement plus exact ou plus voisin du premier original, il y en eût une autre mention, précisément à la fin; car nous trouvons dans la fidèle traduction de Caxton cette phrase, que nous avons déjà eu occasion de citer dans la partie généalogique : « as it is reherced in the booke of my two sonnes and also in an evvangill. »

Malheureusement nous ne savons ce qu'est devenu ce second livré du chevalier, écrit sans doute dans le même goût que ses Enseignements à ses filles, qui devoit être aussi composé de récits pris dans les his­toires et les chroniques et d'aventures contempo­raines. Peut-être devons-nous sa perte et le peu de succès qu'il paroît avoir eu - car nous n'en avons trouvé de mention nulle part - à ce que le bon cheva­lier y aura trop laissé faire à ses chapelains, et que le livre, ainsi presque uniquement rempli par de trop réelles répétitions, n'a pas eu assez d'intérêt pour sortir du cercle pour lequel il avoit été fait. Il est vrai de dire aussi que, son point de vue étant gé­néral, - des histoires masculines sont des histoires de toutes sortes - il se trouvoit avoir à lutter, pour


 

PRÉFACE.                             xxxvij

faire son chemin, contre tous lés recueils de contes , tandis qu'une réunion d'histoires uniquement fémi­nines, étant quelque chose de plus rare et de plus nou­veau, a eu plus de chances pour sortir de la foule et pour demeurer en lumière.

Quoi qu'il en soit, il existe peut-être encore en ma­nuscrit, mais sans le nom de son auteur, au moins d'une manière formelle, soit sur le titre, soit dans l'introduction; et le chevalier, qui, comme on l'a vu, ne révisoit pas le travail de ses aides avec assez de soin pour lui donner une disposition et une forme générale bien assises, et n'a pas mis de fin au livre de ses filles, a bien pu ne pas écrire de prologue pour le livre de ses fils. Mais l'on auroit deux points de repère qui ferment reconnoitre à peu près à coup sûr le second ouvrage : ce sont les deux histoires citées, celle de l'hermite qui tomba dans tous les péchés pour s'être abandonné à la gourmandise comme au plus petit, et celle du Sauveur portant sa croix, prédisant aux saintes femmes le mal qui devoit arriver au pays, c'est-à-dire la ruine du Temple et la dispersion des Juifs. J'ai parcouru, sans rien trouver qui me satisfît, quelques uns des recueils anonymes d'histoires qui ont été écrits en grand nombre vers cette époque; d'autres seront plus heureux que moi.

 

III.

Manuscrits.

 

La Bibliothèque impériale possède, à ma connoissance, sept manuscrits du livre du chevalier de


 

xxxviij                                PRÉFACE.

La Tour Je vais les décrire brièvement, en les rangeant, non dans l'ordre de leurs numéros, mais selon l'époque de leur transcription et selon leur va­leur relative.

Le plus ancien est le n° 7403 du fonds françois. Il est en parchemin, de format in-folio mediocri, et écrit sur deux colonnes de trente lignes. Il a 140 feuillets, dont les trois premiers sont occupés par la table, les feuillets 5 à 128 par le texte, et les feuillets 128 à 140 par l'histoire de Griselidis. Le premier feuillet est tout encadré d'ornements courants ; dans la miniature, le chevalier, assis sur un banc de gazon, est vêtu d'une jaquette très courte et coiffé d'un bon­net lilas, découpé de la façon la plus extravagante et la moins analogue aux conseils du livre sur la simpli­cité à avoir dans sa toilette. Les trois filles, en robes à longues manches, sont toutes trois debout ; l'aînée a seule une ceinture, et la troisième a la tête nues Les lettres capitales sont bleues à dessins rouges. Quoique le plus ancien, et certainement du commen­cement du xve siècle, l'adjonction, toute convenable d'ailleurs, de Griselidis, prouveroit que le manu­scrit n'est qu'une copie et n'a pas été fait pour l'auteur lui-même ; malgré cela - et maintenant pour reconnoître sûrement un manuscrit fait pour l'auteur, il faudroit y trouver ses armes et celles de l'une de ses deux femmes -- celui-ci est excellent et le meilleur de tous, avec celui de Londres, dont nous parlerons plus loin.

Le manuscrit qui vient après celui-là, et que j'ai connu le dernier, porte le n° 1009 du fonds de Gaignières. Il est in-folio mediocri sur parchemin , à


 

PRÉFACE.                            xxxix

deux colonnes de trente-six lignes, et a 9l feuillets, dont 82 de texte, 2 de table et 7 pour l'histoire de Grise­lidis. La miniature est très grossière et peut même avoir été ajoutée postérieurement.

Dans le no 70731  du fonds françois, le livre du che­valier de La Tour n'est qu'une partie ; on peut voir, pour l'indication des ouvrages qui l'accompagnent , la description que M. Paulin Paris en a faite dans ses Manuscrits françois (V, 1842, p. 71-86). Qu'il suffise ici de dire que dans ce volume notre texte et la table des chapitres occupent, sur deux co­lonnes de 35 lignes en moyenne, les feuillets 55 à 1221. La copie en est très inexacte , et le scribe n'a pas dû être payé à la page , mais à forfait, car pour avoir plus tôt fini, il ne s'est pas fait faute de sauter des parties de phrase, dont l'absence n'ajoute pas à la clarté. Il doit même avoir tourné des feuil­lets de son original ; car, sans que ses cahiers soient incomplets, on trouve deux fois dans sa copie une lacune qui correspond à celle d'un feuillet, et qui, la seconde fois, porte sur une des histoires les plus inté­ressantes, celle de Mm" de Belleville, dont il n'a tran­scrit que la fin. La langue commence déjà à s'y mo­difier. Une mention écrite sur la dernière feuille de garde porte qu'il a appartenu à Guillaume du Che­min, de Saint-Maclou de Rouen; sur la première feuille de garde est collé l'écu des Bigot, d'argent à un chevron de sable, chargé en chef d'un croissant d'argent et accompagné de trois roses, posées deux

 

1. En marge du feuillet 86 on lit les deux noms : « Maistre Ro­bert le Moyne » et « Guillaume Saro, escuyer, dem. à Sainct .... »


 

xl                                      PRÉFACE.

en chef et une en pointe; on y lit aussi le nom de Thomas Bigot, père d'Emeric, et l'écu est répété sur le dos de la reliure ; ce volume portoit dans leur bibliothèque le ne 1481. J'oubliois de dire qu'il y a une miniature initiale en camaïeu , mais sans impor­tance:

Le manuscrit de Saint-Victor, no 853, relié en 1852 , en maroquin rouge, avec le R. F. de la der­nière République, est sur parchemin, de format petit in-fº carré , à 39 longues lignes par page et d'une grosse écriture de la fin du xve siècle. Les deux pre­miers feuillets sont occupés par une table divisée en 89 chapitres ; le premier feuillet du texte, qui porte en haut la signature Dubouchet, 1642, a une détestable miniature, et, sur la marge, deux écussons en losange, partis, à dextre, d'or à la croix contre-her­minée, et, à senestre, de gueules à trois fasces de vair à la bordure d'or. Nous ne savons à qui appar­tiennent ces armes ; nous ferons remarquer seulement que les maisons de Mercœur en Auvergne et de Royère en Limousin portent de gueules à trois fasces de vair 2. Les douze derniers feuillets sont occupés par l'histoire de Griselidis, et c'est pour cela que le re­lieur a mis sur le dos : Miroir des femmes mariées.

Le no 76731, qui porte dans le fonds Delamarre le no 233, est sur parchemin et petit in-4e à deux co­lonnes très étroites et de 30 lignes. Il est incomplet en tête de quelques feuillets, et commence au conte de celle qui mangea l'anguille : « [Un exemple vous

 

1. Bibliot. Bigotiana, 1710, in-12, pars quinta, p. 10-11.

2 Grandmaison, Dictionnaire héraldique, 1852, in-4º, col. 355.


 

PRÉFACE                                  xlj

vueil dire sur] le fait des femmes qui mangeoient , les bons morceaux en l'absence de leurs maris. » Les derniers feuillets du ms. sont très mutilés ; il est même incomplet de la fin, car le recto du dernier feuil­let -- le verso est collé sur une feuille de papier qui en soutient les morceaux -- s'arrête dans la fin de l'his­toire de Catonnet. Les fers de la reliure, qui est du dernier siècle et sans titre sur le dos , paroissent al­lemands.

Le no 7568 est sur parchemin, de format petit in-­4º, et dans sa reliure originale de bois couvert de velours vert et garni autrefois de fermoirs. Il est écrit à longues lignes d'une écriture très cursive et négligée, de la fin du xve siècle; les feuillets 1 à 125 sont occupés par notre roman, 126 à 134 par la pa­tience de Griselidis, 135 à 139 recto par l'histoire du chevalier Placidas et de son martyre, après lequel il, fut nommé saint Eustache , enfin 139 verso à 144 par le Débat en vers du corps et de l'âme, le même dont on trouve une édition dans le recueil que j'ai copié au British Museum et dont la réimpression forme les trois premiers volumes de l'Ancien Théâtre françois. A la fin du Débat se trouvé la signature Ledru, évidemment celle du copiste. Le volume a fait partie de la bibliothèque royale du château de Blois, car on lit sur le feuillet de garde : Bloys, et au dessous : «Des hystoires et livres en françoys. Pulº 1º (pulpito primo). - Contre la muraille de devers la court. » Au xviie siècle, on mit sur le premier feuillet le no MCCLIIII, et plus tard les nos 1052 et 7568, qui est le numéro actuel. Au commencement, le chevalier, seul dans son jardin, est peint dans la grande lettre, et


 

xlij                                  PRÉFACE.

l'encadrement assez délicat de la page, formé de rin­ceaux, de fleurs et de fraises, offre deux M, l'un rose, l'autre bleu, et la place, malheureusement grattée, d'un écu d'armoiries.

Le no 3189 du Supplément françois est un petit in folio sur papier, d'une très mauvaise écriture de la fin du xve siècle. Après un traité en françois sur les péchés et les commandements de Dieu, se trouve notre roman, incomplet d'un ou deux feuillets, car il ne commence que dans la première histoire, celle des deux filles de l'empereur de Constantinople, par ces mots ; « ... toutes foiz qu'elle s'esveilla, et pria devotement plus pour les mors que devant et ne demoura guerres que ung grant roy de Grèce la feist demander, etc. »

Dans les autres bibliothèques de Paris , je n'en connois qu'un manuscrit sur vélin , de la fin du xve siècle et sans importance, à la bibliothèque de l'Arsenal ; il a été indiqué par Haenel dans son catalo­gue des bibliothèques d'Europe (Lipsiae, 1830, in-4°, col. 340).

Mais il n'y en a pas de manuscrits qu'en France, car, pendant mon séjour à Londres, j'en ai pu voir et collationner un excellent, aussi bon, sinon même meilleur que notre manuscrit 7403. C'est sur leur comparaison, et en me servant des deux, que j'ai établi le texte que je publie; ils sont les deux plus anciens, contemporains l'un de l'autre, et ne sont pas écrits dans un autre dialecte, ni même avec une or­thographe sensiblement différente, ce qui m'a permis de prendre toujours la meilleure leçon donnée par l'un ou par l'autre, sans craindre d'encourir le repro-


 

PRÉFACE.                             xliij

che d'avoir mélangé des formes contraires et mis ensemble des choses opposées. Il se trouve au British Museum, dans la collection du roi1, où il porte comme numéro la marque : 19 c viii. Ce manuscrit, sur parchemin, est composé de cahiers de huit feuil­lets avec réclames, à 33 longues lignes à la page, offre 164 feuillets, chiffrés en lettres du temps de son exécution. Le livre de La Tour Landry y occupe les feuillets 1-121; le livre de Melibée, par Christine de Pisan, les feuillets 122-146, et l'histoire de Griselidis les feuillets 147-162. Sur deux derniers feuillets, d'abord restés blancs, une main postérieure a ajouté Le codicille Me Jehan de Meung. En tête du texte se trouve une miniature; le chevalier, vêtu d'une robe bleue à longues manches et tenant un rouleau de papier sur ses genoux, est assis sur un banc de ver­dure qui fait le tour du pied d'un arbre ; la partie du jardin où il se trouve est entourée d'une haie carrée soigneusement coupée, et le fond n'est pas un pay­sage, mais un treillis; quant aux trois filles, toujours debout, l'aînée a une robe rouge avec un col, ouvert en fraise et de très longues manches ouvertes; les ro­bes des deux autres sont rouges pour l'une, couleur de chair pour l'autre, et leurs manches très justes leur recouvrent presque toute la main. Le manuscrit a dû appartenir ensuite à quelque artiste du temps, car les feuillets blancs et les gardes sont couverts de très légers croquis au crayon roux. d'hommes ar­més ou d'hommes et de femmes à cheval:

 

1. Cf. Catalogue of the manuscripts of the King's library, an appendix to the catalogue of the Cottonian library, by David Casey, deputy librarian, 1734, in-4º-, p. 298.


 

xliv                                 PRÉFACE.

La bibliothèque de Bourgogne à Bruxelles en pos­sède1 deux manuscrits sur parchemin (nos 9308 et 9542); l'un d'eux a été, sous l'empire, à la Bibliothè­que du roi (Belg. no 115), où l'a vu Legrand d'Aussy, qui le cite en tête de sa notice sur le Livre des Ensei­gnements insérée dans le 5e volume des Notices des Manuscrits; depuis il a fait retour à la Bibliothèque de Bourgogne. Nous ne les connoissons pas ; mais le manuscrit 7403 et celui de Londres sont trop bons, et en même temps trop conformes, pour qu'il nous eût été nécessaire d'en consulter encore d'autres.

Enfin La Croix du Maine2I nous apprend qu'il avoit aussi par devers lui le livre écrit à la main, et le duc de La Vallière en possédoit aussi un ms., qui forme le no 1338 du catalogue en trois volumes (1783, I, p.106) « Le chevalier de La Tour, in-fol., mar. rouge. Beau manuscrit sur vélin du xve siècle, contenant 98 feuillets écrits en ancienne bâtarde, à longues lignes. Il est décoré d'une miniature, de tourneures et d'ornements peints en or et en couleurs. » Il ne fut vendu que 6o livres, bien qu'il fût certainement très supérieur comme texte aux éditions de Guillau­me Eustace, qui se vendoient pourtant bien plus cher, comme on le verra tout à l'heure, car nous n’avons plus à parler que des éditions et des traduc­tions de notre auteur.

 

1. Catalogue des manuscrits de la Bibl. royale des ducs de Bour­gogne. Bruxelles, in f, I , 1842 ; Extrait de l'Inventaire général , pages 187 et 191.

2. Edit. de 1772, I, 277.


 

PRÉFACE.                                xlv

IV.

Traductions et éditions.

 

J'ai dit en commençant qu'il avoit été fait deux traductions angloises du livre des Enseignements. L'une, la plus ancienne, qui remonte au règne de Henri VI , est inédite et est conservée en manuscrit au British Museum, dans le fonds Harléien (no 1764. 67, C.1). C'est un manuscrit à 2 colonnes de 41 lignes , d'une excellente et très correcte écri­ture, malheureusement incomplet de la fin et qui a beaucoup souffert. Le premier feuillet a une lettre ornée et un entourage courant, et tous les chapitres ont une lettre peinte. Au deuxième feuillet, on lit les signatures de deux de ses anciens propriétaires, Paulus Durant et David Kellie, écrites à la fin du xvie siècle et au commencement du siècle suivant ; on trouve même au feuillet 37 cette mention, de la main de Kellie : «James by the grace of God King of England, France and Ireland and of Scotland and defender of the faith. » Dans son état actuel , le ma­nuscrit a 54 feuillets et commence : « In the yere of the incarnacion of our lord m ccc lxxi as y was in a garden all hevi and full of thought... », et se termine dans l'histoire des deux soeurs (p. 238 de notre texte), parles mots : « withoute ani wisete y clothed myself in warme », suivi du mot clothes comme réclame. La traduction est exacte, la langue excellente et cer­tainement bien moins traînante et embarrassée que

 

1. Nares, Catalogue of the mss. of tbe Harleian library, 4 vol. in-fº, London, 1808-15 ; II, p. 2o8.


 

xlvj                                  PRÉFACE.

celle de Caxton. Du reste, ceux qui voudroient avoir de plus complets détails sur cette traduction anony­me pourront en voir d'amples fragments transcrits dans un excellent article de la première Retrospective Review, publiée à Londres il y a une vingtaine .d'années1. La sévérité angloise paroît avoir empêché l'auteur de citer les histoires les plus curieuses préférablement à celles dont l'honnêteté est la trop unique valeur; mais ces extraits suffisent pleinement pour faire juger du mérite de la traduction, et c'est pour nous la plus utile partie de leur travail.

La seconde traduction est de Caxton, le plus an­cien imprimeur de d'Angleterre, et il est curieux de voir le livre de notre auteur être une des premières productions de la presse dans un pays étranger. On sait quel nombre Caxton a publié de traductions du françois, et il nous suffit de le rappeler, car une énumé­ration nous mèneroit beaucoup trop loin. Le livre est un in-4º,, dont les cahiers, de huit feuillets cha­cun, sont signés aii-niiij. Il commence par une pré­face du traducteur, qui dit avoir entrepris cet ouvra­ge sur la prière d'une grande dame qui avoit des filles; aucun bibliographe anglois n'ayant fait même une supposition sur le nom de cette protectrice du

 

1. Voici le titre exact de cette excellente collection , interrom­pue malheureusement peu de temps après le volume où se trouve l'article sur le livre des Counsels : The retrospective review, an historical and autiquarian magazine, edited by Henry Southern esq., M. A. of Trinity college, Cambridge , and Nicholas Harris esq.. F. S. A., of tbe Inner Temple, barrister et law in-8º. New series, vol. 1, 1827, part. II, p. 177-94. - L'article a été analysé dans notre Revue britannique, 2e série, t. V, 1831, p. 343-61.


 

PRÉFACE.                            xlvij

travail de Caxton, nous ne pouvons qu'imiter leur silence.; nous aurions donné cette préface en appen­dice, si on ne pouvoit la voir reproduite dans l'édi­tion des Typographical antiquities de Jos. Ames, donnée par Dibdin1. Les caractères employés par Caxton sont ceux dont on peut voir dans Ames le fac­simile d'après les chroniques d'Angleterre2. C'est ce caractère irrégulier, plein de lettres liées entré el­les et de mêmes lettres de formes différentes, qui apporte plutôt l'idée d'une écriture assez incorrecte que d'une impression ; elle est très analogue à un fac­simile donné dans Ames (p. 88) d'une copie manus­crite d'Ovide qu'on attribué à. Caxton. Après la pré­face, qui tient le premier feuillet, et la table qui en tient trois, vient le texte, qui commence : « Here be­gynneth the book whiche the knyght of the toure3 a made and speketh of many fayre ensamples and thenseygnements and techyng of his doughters. » Il se termine par la mention suivante : « Here fynysshed the booke which the knyght of the Toure made to the enseygnement and techyng of his n doughters translated oute of frenssh in to our maternall Englysshe tongue by me William Caxton, which book was ended and fynysshed the first day of Juyn the yere of oure lord m.cccc lxxx iij And  emprynted at Westmynstre the last day of Jan­yuer, the first yere of the regne of kynge Rychard

 

1. London, 4 vol, in-4º, 1810, t. 1, no 27 des Caxton, p. 202-8.

2. No 4 de la planche de Basire portant le n° 8, et placée en face de la page 88.

3. Caxton ne sait pas le nom de Landry.


 

xlviij                                  PRÉFACE.

the thyrd. » On a quelquefois mis à tort ce livre sons la date de 1484; l'année 1483 ayant été comprise entre le 30 mars et le 18 avril, et Edouard IV étant mort le 9 avril 1483, c'est bien cette année 1483 qui est la première année du règne de Richard III1.

Les exemplaires complets en sont, du reste, assez rares. Ames (1810) ne cite que trois exemplaires, celui de lord Spencer, du marquis de Blandford et de Sa Majesté; ce dernier est sans doute l'exemplaire complet que nous avons vu au British Museum. Il y en auroit encore un dans la Bibliothèque publique de Cambridge et deux à la Bodléienne, mais imparfaits tous deux d'une feuille. Un exemplaire sur vélin, marqué 5 l. 5 sh., chez M. Edwards, cat de 1794, no 1267, étoit en 1810 chez M. Douce; mais ce fut un prix bien vite dépassé; ainsi l'exemplaire de la vente de White Knights fut payé 85 livres 1 shilling, et celui de la vente de Brandt, en 1807, fut acheté 111 livres 6 shillings pour lord Spencer2.

Quant à la traduction même, elle est d'une in­croyable fidélité et d'une si naïve exactitude, que, par ses méprises, et il y en a, on pourroit reconnoître à coup sûr le manuscrit même suivi par Caxton, et, si on le rencontroit, il ne pourroit pas y avoir de doutes sur ce point, tant sa phrase est calquée sur son texte, avec un mot à mot si fidèle que la pureté

 

1. Dibdin, Bibliotheca Spenceriana, no 857, t. IV, 1815, p. 267-8, avoit fait remarquer qu'il falloit s'en tenir à la date de 1483 ; mais sa preuve en étoit que le commencement de l'année suivante n'arriva pas avant le 25 mars, ce qui ne s'accorde pas avec les ta­bles chronologiques des bénédictins.

2. Cf. Bibl. Speneeriana.


 

PRÉFACE.                xlix

de son anglois en souffre le plus souvent. Du reste, on en pourra bientôt juger, car M. Thomas Wright, aux publications de qui notre ancienne littérature doit autant que l'ancienne littérature de son pays, en va publier une réimpression exacte pour le Warton Club, dont il est un des fondateurs. Si la traduction inédite du British Museum étoit complète, il faudroit incontestablement la suivre, à cause de sa supério­rité sur celle de Caxton. On pourroit prendre le parti de composer l'édition pour les trois quarts avec la traduction inédite et pour la fin avec Caxton. Cepen­dant la langue des deux traducteurs est si différente, qu'en mettant une partie de l'oeuvre de l'un à la suite de l'oeuvre de l'autre, on auroit à craindre d'ar­river à un effet trop disparate, et, comme le Caxton est introuvable, les bibliophiles préféreront peut­être , en avoir la reproduction entière.

Enfin j'ajouterai, à propos de l'édition de Caxton, que, si rare qu'elle soit maintenant, c'étoit au xvie siècle, en Angleterre, un livre qui étoit tout à fait en circulation. J'en donnerai pour preuve ce curieux passage du Book of Husbandry, publié en 1534 par Sir Anthony, Fitz-Herbert, qui avoit la charge importante de lord chief justice1. L'appréciation est trop curieuse pour que je ne la reproduise pas en entier ; parlant de la fidélité qu'une femme et un mari doivent avoir dans les achats qu'ils font au marché, il continue : «Je pourrois peut-être montrer aux maris diverses façons

 

1. Je tire le passage, non du livre, nécessairement inconnu à un étranger,, mais de l'article qui lui est consacré dans la nouvelle Retrospective Review, London, Russell-Smitb, in-8º. No 3, May 1853, pages 264-73.

4.


 

l                                  PRÉFACE.

dont leurs femmes les trompent, et indiquer de même comment les maris trompent leurs femmes. Mais si je le faisois, j'indiquerois de plus subtiles façons de tromperies que l'un ou l'autre n'en sa­voit auparavant. A cause de cela, il me semble meilleur de me taire, de peur de faire comme le chevalier de La Tour, qui avoit plusieurs filles, et, par l'affection paternelle qu'il leur portoit, écrivit un livre dans une bonne intention, pour les mettre à même d'éviter et de fuir les vices et de suivre les vertus. Il leur enseigne dans ce livre comment, si elles étaient courtisées et tentées par un homme, elles devraient s'en défendre. Et, dans ce livre, il montre tant de façons si naturelles dont un homme peut arriver à son dessein d'amener une femme à mal , et ces façons pour en venir à leur but sont si subtiles, si compliquées, imaginées avec tant d'art, qu'il seroit difficile à aucune de résister et de s'opposer au desir des hommes. Par cedit livre, il a fait que les hommes et les femmes connaissent plus de vices, de subtilités, de tromperies, qu'ils n'en auraient jamais connu si le livre n’eût pas été fait, et dans ce livre il se nomme lui-même le chevalier de La Tour. Aussi, pour moi, je laisse les femmes faire leurs affaires avec leur jugement. »

Le jugement de lord Fitz-Herbert suffiroit à prou­ver que Dibdin, pour avoir décrit le livre, ne l'avait pas autrement lu; car, renvoyant, dans les additions de Ames (I, 372), à la notice de Legrand d'Aussy, et faisant allusion aux passages purement naïfs dont celui-ci fait des obscénités, Dibdin ajoutoit qu'il fal­-


 

PRÉFACE.                                            Ij

loit espérer que Caxton avoit sauté de pareils passa­ge. Je n'ai pas eu le temps de vérifier le Caxton, nous n'en avons pas d'exemplaires en France ; mais je répondrais à l'avance de son honnêteté de traduc­teur, qui n'a pas dû se permettre le moindre retran­chement. Seulement Dibdin, qui avoit le volume à sa disposition, auroit pu s'assurer du fait et ne pas en rester à cette singulière espérance.

Le livre eut la même fortune en Allemagne qu'en Angleterre : car il en parut en 1493 une traduction allemande faite par le chevalier Marquard vom Stein. Comme Caxton, il fut plus exact que ne le furent plus tard les éditeurs français, et n'ajouta rien au livre des Enseignements; mais, plus heureuse que celle de Caxton, sa traduction fut souvent réimprimée. La pre­mière édition, in-folio, parut à Bâle, chez Michel Furter, sous ce titre : « Der Ritter vom Turn, von den Exempeln der Gotsforcht vñ erberkeit », c'est-à-dire Le Chevalier de La Tour, des exemples de la piété et de l'honneur. En tète se trouvé une préface du tra­ducteur, mais qui ne contient que des généralités de morale ; nous ferons remarquer seulement que, peut-­être par suite d'une faute d'impression ou d'une différence dans un manuscrit, la date de la composition du livre n'est plus 1371, mais 1370. Le volume, d'une superbe exécution, et dont le British Museum possède un très bel exemplaire, a 73 feuillets et est orné de 45 gravures sur bois, réellement faites pour l'ouvrage, bien dessinées et bien gravées. Le cheva­lier y est toujours représenté armé de pied en cap, même dans la gravure initiale, où il est, idée assez bizarre, représenté endormi au pied d'un arbre, pen-


 

Iij                                           PRÉFACE.

dant que ses deux filles sont debout à côté de lui ; mais, à part cette singularité, cette suite d'illustra­tions est tout à fait remarquable. Après cette édi­tion, nous citerons les suivantes, d'après Ebert1 une à Augsbourg, chez Schönsperger, 1498, in-fo­lio; une à Bâle, chez Furter, en 1513; - Ebert di­sant aussi qu'elle a 73 feuillets et des gravures sur bois, il est possible que ce soit la première édition avec une nouvelle date changée, et, dans tous les cas, la nouvelle en est une réimpression, où l'on doit re­trouver les mêmes bais - une à Strasbourg, chez Knob­louch, en 1519, in-4º; enfin une autre à Strasbourg, chez Cammerländer, en 1538, in-folio, avec des gra­vures sur bois. Il y en a sans doute eu d'autres édi­tions; toujours est-il que tout récemment, en 1849, le professeur allemand O.-L.-B. Wolff en a fait le 8e volume2 de sa collection de romans populaires qu'il a publiée à Leipzig chez Otto Wigand. Le prologue y est plus court, et l'on y voit, bien qu'en très petit nombre, quelques histoires nouvelles, celles de Pé­nélope et de Lucrèce, absentes de l'ouvrage origi­nal, mais qui prouvent que, dans ses éditions suc­cessives, la traduction de Marquard vom Stein a subi quelques remaniements. Le titre y est devenu : « Un miroir de la vertu et de l'honneur des femmes et demoiselles, écrit pour l'instruction de ses filles par le très renommé chevalier de La Tour, avec de belles et utiles histoires sacrées et profanes. »

 

1. Allgemeines bibliographisches Lexikon von Friedrich Adolf Ebert. Leipzig, 1821, in-4º, t. I, col, 317, no 4078.

2. In-12 de 171 pages­


 

PRÉFACE.                                    Iiij

Ce ne fut qu'en 1514 que parut la première édition françoise, à Paris, chez Guillaume Eustace1. C'est un in-folio gothique, à deux colonnes, de xcv feuil­lets chiffrés, précédés de 3 feuillets pour le titre et la table et suivis d'un feuillet séparé , au recto duquel une gravure en bois représentant le pape, l'empe­reur et le roi de France , et au verso la marque de Guillaume Eustace. Cette gravure se trouvoit déjà au verso et la marque sur le recto du titre, qui est ce­lui-ci : « Le chevalier de la tour et le guidon des guerres, Nouvellement imprimé à Paris pour Guillaume Eustace, libraire du roy, Cum puillegio Regis » , et au bas : « Ilz se vendent en la rue neufue nostre Dame, à lenseigne De agnus dei, ou au palais, au troisiesme pilier. Et en la rue, saint-iacques, à l'enseigne du crescent. » A la fin se trouve cette mention : « Cy fine ce present volu­me intitulé le chevalier de la tour et le guidon des guerres, Imprimé à Paris en mil cinq cens et quatorze, le neufiesme iour de novembre. Pour Guillaume Eustace, libraire du roy et juré de luniversité, demourant en la rue neufve nostre-da­me, à lenseigne de agnus dei, ou au palais, en la grant salle du troisiesme pillier, près de la chappelle où len chante la messe de mes seigneurs les presidens. Et a le Roy, nostre sire, donné audit Guillaume lettres de privilege et terme de deux ans pour vendre et distribuer cedit livre affin des-­

 

1. La Croix du Maine (Bibliothèque Françoise, édit. de 1772, I, 161 et 277) ne parle que de cette édition , sur la foi de laquelle il a dit que le Guidon des guerres étoit de notre auteur.


 

liv                                  PRÉFACE.

tre remboursé de ses fraiz et mises. Et deffend le-dit seigneur à tous libraires, imprimeurs et autres du royaulme de non limprimer sus painne de con­fiscation desditz livres et damende arbitraire jus­ques après deux ans passez et acomplis à comp­ter du iour et date cy dessus mis que ledit livre a esté acheué d’imprimer. »

Le texte des Enseignements, dans cette édition de Guillaume Eustace, occupe les feuillets i à lxxii; le feuillets lxxiii à lxxxv sont occupés par le livre de Melibée et de Prudence, que l'éditeur a trouvé, com­me on le voit dans le manuscrit de Londres et celui de Paris (70731), à la suite de celui dont il s'est servi; mais, avec peu de scrupule et pour bien donner au chelier de La Tour le livre de Mélibée, sur lequel nous n'avons rien à dire ici, tant il est maintenant connu, il a écrit un raccordement par lequel il met Mélibée dans la bouche du chevalier. Enfin, les feuillets lxxxv à xcv offrent le Guidon des guerres « fait par le chevalier de La Tour », ouvrage de stratégie qu'un autre rac­cordement1 de Guillaume Eustace met aussi dans la bouche du chevalier. Il formoit probablement la troisième partie du manuscrit suivi par Guillaume Eus-a,e etct n'est nullement du chevalier de la Tour2.

 

1. Le raccordement est d'autant mieux fait qu'on le fait parler de ses fils : « Affin que tous nobles hommes et mesmement vos frères , quand ils se trouveront entre vous , en voyant cestuy livre y puissent aussi bien que vous prendre quelque doctrine... J'ay, touchant le fait des armes , cy en la fin mis ung petit traicté appelle le Guidon des guerres, lequel jadis je redigeai par l'ordonnance de mon souverain seigneur le très chrétien roy de France…..»

2. Comme le dit M. P. Paris (Man. françois , V, 85-6), il est


 

PRÉFACE.                                     lv

Le texte est orné de gravures sur bois, mais, moins soigneux que l'éditeur allemand, Eustace a employé bon nombre de bois tout faits, dont quelques uns se rapportent très peu au sujet qu'ils sont destinés à présenter aux yeux. Dans les exemplaires sur papier le format est très petit in-folio; dans ceux sur vélin, la justification à été réimposée, et le volume est plus grand. La Bibliothèque en possède un superbe exem­plaire, avec 27 miniatures, que M. Van Praët1 dit avoir passé dans les ventes de Pajot, comte d'Onsembray ;no 527, 240 l. 19 s.), de Girardot de Pré­fond (n° 890,193 l.), de Gaignat (no 2253, 200 l.), de La Vallière (no 1339, 300 l.), de Mac Carthy (no 1549, 615 l.). M. Brunet (I, 649) paroît traiter comme le même celui qu'il indique comme vendu chez Morel Vindé 631 fr., et chez Hibbert, 33 livres, 12 shilings.

Comme texte, il faut reconnoître, à la louange de Guillaume Eustace, que, pour un éditeur du seizième siècle, il pourroit avoir fait bien plus de modifications. Le prologue est beaucoup moins en vers, l'orthogra­phe est modernisée; mais le texte a certainement été

 

étonnant que les bibliographes n'aient pas remarqué la fausseté d'attribution de ces deux ouvrages. Debure (Catal. La Vallière, I, 4o6), cataloguant l'imprimé à la suite d'un ms., avait, sans nier l'attribution, fait remarquer que le Guidon ne se trouvoit pas dans celui-ci.

1. Van Praët, Livres sur vélin de la bibliothèque du roi, t. IV, no 358, p. 263-4. Ebert nous apprend qu'il y en avoit aussi un exemplaire sur vélin dans l'ancienne bibliothèque d'Augsbourg. Ce doit être celui que M. Van Praët indique comme vu par Gercken (Reisen, I. 262) et par Hirsching (Reisen, II, 180) chez les frères Veith, à Augsbourg. Un troisième exemplaire devrait s'en trouver dans la bibliothèque de Genève (Van Praët, 264).


 

lvj                                    PRÉFACE.

plus respecté qu'il ne l'étoit d'ordinaire à cette épo­que. La seconde impression, qui doit cependant avoir été faite sur celle-ci, est au contraire pleine de fautes grossières, à ce que me dit un juge très compétent, qui l'a eue entre les mains. Elle est in-4° de 2o8 pages, y compris 6 pages de table. Elle a un frontispice re­présentant un chevalier armé, un genou en terre, et a pour titre : « S'ensuit le chevalier de La Tour et le Guidon des guerres, avec plusieurs autres belles exemples, imprimés nouvellement par la veuve Jehan Trepperel1. » M. Brunet, qui la dit gothique et nous apprend qu'elle a été vendue, chez Heber, 6 livres 15 shillings, ajoute « et Jehan Jehannot», après le nom de la veuve Trepperel. M. Bertin en possédoit un exemplaire qui, à sa vente (1853, n° 123), a été adjugé au prix de 780 fr.

Après avoir examiné successivement, comme je l'a­vois promis, la biographie et l'oeuvre du chevalier, ainsi que les manuscrits et les éditions de son livre, je lui laisse enfin la parole, en m'excusant de la lon­gueur à laquelle ces développements sont arrivés. Mais si, dans un travail d'ensemble sur notre an­cienne littérature, l'ouvrage du chevalier de La Tour peut n'être cité qu'en passant, tous les renseigne­ments qui s'y rapportent devoient être réunis dans un essai qui lui est spécialement consacré et qui se trouve en tète de son livre.

 

1. Bulletin du Bibliophile, 1re série, n° 14, février 1835, p.11, no 1379.

 

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MWL

 

 

 

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Dernière modification : samedi 05 avril 2014