TOM LANDRY

Publié le 10 février 2015 par Jacques Noël
De Port-Royal à Dallas, en passant par Québec
Février étant le mois du Super Bowl, pourquoi ne pas en profiter pour
vous présenter l’un des plus grands coachs de l'histoire du football
américain ? Stoïque le long des lignes, les bras croisés sur son célèbre
trench-coat, coiffé de son incontournable fedora, Tom Landry (1924-2000)
incarnait le contrôle de soi et la loyauté. « The classiest coach»,
proclament encore aujourd’hui les groupies.
Des mordus du ballon ovale appellent leur fils Landry comme des golfeurs
appellent leur fils Tiger (ne riez pas : une ancienne lectrice de LCN a
appelé son fils Tiger !). Coach des célèbres Cowboys de Dallas (la franchise
la plus chère de la National Football League (NFL), évaluée à plus de 2,3
milliards de dollars) pendant 28 saisons (1960-1988), il a remporté deux
Super Bowl (VI et XII), cinq championnats de ligue et 14 de divisions; et il
a assuré 19 présences en séries éliminatoires. Ses 270 victoires en carrière
le placent au troisième rang parmi les coachs, et ses 20 victoires en
séries, au sommet de la NFL.
Landry a inventé la Flex Defense dans les années 1950, alors qu’il était
responsable de la défensive des Giants de New York. Dans les années 1970, il
a restructuré le shotgun et développé la « situation substitution » (désolé
pour ceux qui ne connaissent pas la game… du dimanche après-midi). Il a
aussi aidé à restaurer l’image de Dallas, entachée par l’assassinat de John
F. Kennedy, en en faisant une ville de gagnants. On voyait si souvent les
Cowboys à la télé que l'équipe est devenue aussi familière au grand public
que les vedettes de cinéma.
Son éthique de travail et ses convictions religieuses, alimentées par les
succès de l’équipe, ont fait des Cowboys l’America’s Team, l’équipe de rêve
des Américains (comme notre CH… d’antan). Le Faith, Family and Foolball de
l’Amérique profonde. « De la fin des années 1960 jusqu’aux années 1980, les
Cowboys, sous la gouverne de Tom Landry, ont été une force vive de la NFL,
incarnant une mystique qui transcende la communauté sportive et le Texas »,
a écrit le Washington Post.

Une statue de bronze de Tom Landry à voir, à la porte du stade de Dallas.
Elle incarne sa pose célèbre le long des lignes.
Les origines de Tom Landry
Tom Landry est aussi un enfant de l'immense diaspora québécoise, qui compte
aujourd'hui quelque 13 millions de personnes aux États-Unis, au Canada
anglais et ailleurs dans le monde. Il descend d'Acadiens qui se sont
réfugiés à Maskinongé après le grand nettoyage ethnique de 1755. Ses
ancêtres ont participé à la révolte du Pembrooke, l’un des hauts faits
héroïques du Grand Dérangement, malheureusement occulté dans nos cours
écourtés d'histoire.
Tom Landry est un enfant de l'immense diaspora québécoise, qui compte
quelque 13 millions de personnes aux États-Unis, au Canada anglais et
ailleurs dans le monde.
Thomas Wade Landry est né le 11 septembre 1924 à Mission, Hidalgo, à
l'extrême sud du Texas, tout près de la frontière mexicaine. Son père,
Harold Raymond Landry (1898-1978), mécanicien de métier et pompier
volontaire, jouait aussi au football. Originaire de Bourbonnais, dans
l’Illinois, un fief francophone au 19e siècle situé à une centaine de
kilomètres au sud de Chicago, Raymond avait mis les voiles vers le sud pour
soigner ses rhumatismes.
Raymond était le fils d'Alfred Landry, baptisé à l’église de Bourbonnais, le
19 juillet 1874 par le père Beaudoin. Six ans plus tôt, dans la même église,
son père, Stanislas Landry (1846-1910), avait épousé Marcelline Tremblay,
une fille de Chambly. Originaire de Maskinongé, Stanislas était l’arrière-arrière-petit-fils
de Pierre Landry (1726-1804) et d'Euphrosine Doucet, un couple d'Acadiens
sortis miraculeusement vivants du Grand Dérangement qui a causé la mort de
près d'un tiers de ce petit peuple paisible des Maritimes.
L’ancêtre, René dit l’Aîné, était arrivé en Acadie vers 1640. En 1645, il
épousait Perrine Bourg à Port-Royal; celle-ci lui donna cinq enfants. Claude
(1663-1740), le cadet du couple, aura dix enfants avec Marguerite Marie
Thériot.
Leur fils, Jean-Baptiste, navigateur et charpentier, né à Port-Royal en
1693, a été recensé à bord du Pembrooke avec sa famille; il est mort à
Québec, le 24 décembre 1757. Son histoire n'est vraiment pas banale. Parti
d’Annapolis le 8 décembre 1755 avec 225 Acadiens à bord, le Pembrooke devait
se rendre en Caroline du Nord. Comme les autres voiliers utilisés pour
l'opération, le Pembrooke était un bateau à bestiaux offrant de misérables
conditions aux déportés. Pour leur éviter la suffocation, les bourreaux
permettaient à six prisonniers de monter en même temps sur le pont
supérieur, afin de prendre un peu d'air frais. Charles Belliveau, un solide
gaillard, choisit les cinq hommes les plus forts pour monter en même temps
que lui. Avant de redescendre, Belliveau et ses comparses assommèrent les
sentinelles et lancèrent la révolte. Dans le temps de le dire, ils
neutralisèrent l'équipage et prirent le contrôle du navire. Ce qui arriva
par la suite n'est pas clair. Mais on sait que les insurgés remontèrent le
fleuve Saint-Jean. Ils passèrent l’hiver à Sainte-Anne-des-Pays-Bas (Frédéricton
aujourd’hui) puis, au printemps, ils remontèrent le fleuve encore plus haut,
avant de traverser le Témiscouata et d'aboutir à Québec.
Malheureusement, la plupart, comme Jean-Baptiste Landry, moururent à Québec
pendant l’hiver 1757-1758, victimes de l’épidémie de picote qui a frappé la
capitale de la Nouvelle-France un an avant l’arrivée de Wolfe devant la
ville. Son fils Pierre (1726-1804) et sa femme Euphrosine survivront et
s'établiront à Maskinongé. Leur fils Joseph (1752-1834) et son épouse,
Josette Caron, auront 25 enfants, dont Jacques, le grand-père de Stanislas.
Le Pembrooke, c’est notre Exodus, notre Amistad. Une épopée prodigieuse de
survivants qui se sont révoltés contre les forces brutales du mal. Mais
toujours sans film pour glorifier leur courage et honorer leur mémoire.
Nos jeunes loups tripent fort sur Amsterdam, le Congo, le Japon et le
Moyen-Orient, mais vraiment pas sur l’Acadie d’à côté, pays de nos ancêtres.
Du moins, pour un bon million de Québécois. Et pour l'un des plus grands
coachs de l'histoire de la NFL aussi.