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UN ÉPISODE DE
L’EXPULSION DES ACADIENS
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Dans son Histoire de la
paroisse de Sainte-Anne des Plaines, M. l’abbé G. Dugas, parlant de Charles
Dugas, son trisaïeul, dit :
« Avant d’arriver au Canada,
le père d’Alexandre Dugas avait été jeté sur un vaisseau avec d’autres
familles acadiennes et dirigé vers Boston. Le long du voyage, Dugas
(Charles), Granger, Guilbault et Saint Cerre (sic pour Saint Sceine,
aujourd’hui ortographié Sincennes) parvinrent à s’emparer de l’équipage et
remirent à la voile pour gagner la rivière Saint-Jean, en Acadie. Plus tard
ils émigrèrent de là à Québec, emportant dans leur cœur, comme tous les
Acadiens, une bonne dose de rancune contre l’Angleterre ».
Les mots entre parenthèse
sont de moi. Il y avait à bord de ce vaisseau 32 familles acadiennes qui y
avaient été embarquées le 4 décembre 1755, à Port-Royal, pour être emmenées
en exil.
Le capitaine Abraham Adams,
commandant de la goëlette le Warren, écrivant d’Annapolis Royal, le 8
décembre 1755, au colonel John Winslow, alors à Halifax, dit : « A cinq
heures, ce matin la flotte a fait voile de la rade par un bon vent. Nous
avons embarqué 1664 personnes à bord de deux navires, trois senaus et un
brigantin partis de l’Ile-aux-Chèvres sous le convoi du sloop de guerre le
Baltimore. Du nombre des habitants du haut de la rivière,environ 300 se
sont sauvés dans les bois, et le reste a été expatrié à la grande
mortification de quelques-uns de nos amis. »
C’est donc le 8 décembre,
fête de l’Immaculée Conception, que le six vaisseaux emportant plus des
trois quarts de la population du Port Royal sortiront de la rade, les uns à
destination de Boston, de la Caroline du Sud, les autres de New-York et du
Connecticut.
Comme chacun le sait, c’est
du mois d’octobre 1755
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jusqu’à la fin de décembre
de la même année, qu’a eu lieu la déportation des Acadiens de leurs
paisibles foyers. Sept mille de nos pères furent embarqués sur des navires
et envoyés aux quatre vents du ciel, même en déduisant de ce nombre les
quelques centaines qui échappèrent d’un ou deux de ces bâtiments.
L’un des senaus
envoyés à Port-Royal pour en transporter les habitants avait essuyé une
grosse tempête avant d’arriver à l’ancienne capitale de l’Acadie. Son grand
mât fut cassé et Charles Belliveau, constructeur de navires et habile
navigateur, fut forcé par les autorités anglaises d’Annapolis de remplacer
sous le plus court délai ce mât par un neuf, ce qui fut fait. Lorsque
Charles Belliveau en réclama le paiement le capitaine lui rit au nez, mais
il changea bientôt de ton quand il vit le charpentier acadien s’apprêter à
abattre le mât. Il lui remit aussitôt le prix convenu.
Mais, ironie du
sort, quelques semaines plus tard Charles Belliveau fut embarqué à bord du
même senau qui avait cassé son grand mât.
On a vu que le
sloop de guerre le Baltimore accompagnait le convoi sortie de la rade du
Port Royal, le 8 décembre. Il le suivit jusqu’à New-York, et en se séparant
du dernier navire, celui à destination de la Caroline du Sud, le commandant
du Baltimore dit au capitaine du bâtiment à bord duquel se trouvait Charles
Belliveau, de bien prendre garde, car parmi ses prisonniers il y avait de
bons marins.
Cet avis ne fut
pas écouté, et le capitaine comptant sur la bravoure de ses huit hommes
d’équipages laissait, à tour de rôle, monter sur le pont une demi-douzaine
d’Acadiens à la fois.
Les semaines
succédaient aux jours et cependant le senau continuait sa route. Fatigués
de ce long voyage les prisonniers, après s’être concertés, résolurent de
s’emparer du bâtiment. Six des plus braves et des plus robustes furent
désignés pour opérer cette capture.
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Lorsque ceux qu’on avait
laissé sur le pont reçurent l’ordre de descendre à la cale, et qu’on cria à
six autres de monter, les six forts à bras, à la tête desquels se trouvait
Charles Belliveau, sautèrent sur le pont et en un tour de main une partie de
l’équipage fut garottée, et comme l’écoutille était restée ouverte, cela
permit à d’autres Acadiens d’aller au secours de ceux qui étaient aux prises
avec les Anglais.
Se voyant maître
du senau Charles Belliveau en prit la barre. Le bâtiment avait alors plein
vent arrière et Belliveau fut aussitôt virer le navire vent de bout. Le
capitaine anglais lui cria qu’il allait faire casser le grand mât. « Tu as
menti, puisque tu sais que c’est moi qui l’ai fait et qu’il est bon », lui
répliqua Charles Belliveau.
Le nouveau
capitaine, quelques jours avant d’arriver à l’entrée de la rivière St-Jean,
débarqua l’équipage anglais, et atteignit le port de St-Jean le 8 janvier
1756.
Le récit de
cette capture m’a été fait, au mois de janvier 1885, par un octogénaire
acadien fort intelligent et doué d’une mémoire prodigieuse, feu François
Joseph Belliveau, dont le grand-père, Pierre Belliveau dit Piau, était le
frère de Charles Belliveau dont je viens de parler. Jean Belliveau, frère de
Charles et de Pierre, fut un des premiers colons de la Baie Ste-Marie.
Voici deux
autres versions de cette prise. La première a paru dans le Foyer
domestique, au cours de l’année 1877, sous la rubrique de Notes sur
Yamachiche, par l’abbé N. Caron. On y lit :
« Le vaisseau
qui portait les Acadiens dont nous parlons alla les déposer à Boston. Ils y
demeurèrent deux ans, puis ils se rembarquèrent pour de nouvelles aventures.
Ce second vaisseau devait les porter à la Martinique. Cette déportation à
la Martinique ne leur souriait que peu. Lorsqu’ils furent en pleine mer,
ils s’entendirent entre eux, et comme ils étaient en plus grand nombre, ils
méditèrent un coup de main pour conquérir la liberté de choisir le lieu de
leur exil. Ils
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firent le capitaine
prisonnier dans sa chambre et mirent aussi la main sur divers employés. Un
nommé Doucet se mit à la barre du vaisseau, les autres remplirent les
fonctions de matelots, et l’on vogua sur le port de Québec »
L’autre version
est due à la plume de feu M.L.U. Fontaine, en son vivant avocat à Montréal;
on la trouve à la page 471 de l’ouvrage de M.H.-J.-J.-B.Chouinard, Fête
nationale des Canadiens français célébrée à Québec en 1880.
Voici :
« Parmi les
Acadiens qui se sont établis en Bas-Canada, en suivant la route du
St-Laurent, et de la Gaspésie, on aime à mentionner ces braves, qui
s’emparèrent du vaisseau où ils étaient enfermés, pour être déportés.
C’était l’élite des proscrits, par le cœur, la force et la valeur. Comme
leurs cousins les Gaulois, ils ne craignaient qu’une chose : que le ciel
tombât sur eux. « Où nous menez-vous, dit Louis Fontaine dit Beaulieu, au
capitaine qui avait le commandement du vaisseau anglais? Dans une île
déserte, répondit ce dernier, afin d’ëtre plus vite débarrassés de … comme
vous… » Un superbe coup de poing, fut la réponse de Beaulieu. L’Anglais
tomba à la renverse; ses gens vinrent à sa rescousse; on voulait se
défendre, mais il était trop tard. En moins de cinq minutes, tout
l’équipage anglais fut terrassé, garrotté et mis en lieu sûr; puis, on se
dirige sur Québec, sous la conduite de Louis Fontaine, connu de ses
contemporains sous le nom de capitaine Beaulieu »
Comme il a été
fait par les Acadiens, plus d’une prise de navires anglais, à l’époque et
dans les années qui suivirent l’expulsion, je ne conteste nullement à Louis
Fontaine, dont j’aurai occasion de donner l’origine prochainement, ou à
Doucet l’honneur d’un si bel acte de bravoure.
Mais je
maintiens que la capture qu’ils firent n’est
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pas la même que j’ai racontée plus haut et dont le
héros est Charles Belliveau.
***
. J’ai raconté
tantôt comment s’est effectuée, en pleine mer, entre New-York et la Caroline
du Sud, la capture d’un vaisseau parti de Port-Royal le 8 septembre 1755,
emmenant en exil 32 familles acadiennes. Ce navire fut ensuite ramené à
l’entrée de la rivière St-Jean, où il arriva le 8 janvier 1756.
Quatre documents
de l’époque font mention de cette prise. Citons d’abord un extrait d’une
lettre de l’abbé Le Guerne, datée de Bélair ver Cocagne, le 10 mars 1756,
Parlant de
Boishébert qui avait son camp au Cap de Cocagne, l’abbé Le Guerne dit :
« ……De nouveaux
incidents l’ont rappelé incessamment à la rivière St-Jean. Le 8 janvier
(1756) il y est arrivé un petit navire chargé de 32 familles de Port Royal
qui faisaient nombre de 225 personnes. On les emmenait à Boston (c’est à la
Caroline du Sud qu’il faut lire), mais s’étant écarté d’un gros bâtiment qui
les convoyait, ils se rendirent maîtres du navire où il n’y avait que huit
personnes d’équipage, et arrivèrent heureusement à la rivière St-Jean, où
ils savaient trouver un refuge.
« Cette prise
fut suivie de près d’une autre dont nous regrettons le mauvais usage. Les
Sauvages en ont débarqué les meilleurs effets et ont conduit le bâtiment à
la rivière St-Jean, mais il n’y restait plus qu’une petite quantité de lard
et de rhum. Dix Sauvages surprirent de nuit une grosse goëlette dans le
havre de l’Etang. Cette prise était riche, elle contenait des effets, des
provisions pour les officiers du Port Royal…….
« Le 9 février
(1756), un bâtiment anglais mouilla sous pavillon français dans le havre de
la rivière St-Jean, et ayant aperçu deux bâtiments qui passaient
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par hasard. Il envoya quatre
déserteurs français à terre qui feignirent qu’ils étaient suivis de
plusieurs navires français, qu’ils venaient tous de Louisbourg pour prévenir
l’anglais qu’on savait dans le dessein de s’établir bientôt dans la rivière
St-Jean et qu’ils cherchaient un praticien (pilote) de l’endroit pour
mouiller dans le fond du havre. Des gens plus rusés auraient aperçu le
danger qu’il y avait à s’engager. Un de nos malheureux Acadiens donna
directement dans le piège, tout visible qu’il était.
« Sitôt qu’il
fut à bord, l’Anglais mit son pavillon et l’arma d’un coup de canon. Les
familles du Port Royal dont j’ai déjà fait mention étaient cabannées au
voisinage, on les a fait passer dernièrement au haut de la rivière, et ayant
accouru au bruit, ils s’aperçurent que l’Anglais s’approchait pour enlever
le bâtiment où ils s’étaient sauvés. Sans perdre de temps, ils en
débarquèrent quelques pierriers et les ayant placés avantageusement et
apporté toutes les armes qu’ils pouvaient avoir ailleurs, ils firent un tel
feu sur l’Anglais qu’il fut contraint de se sauver comme il était venu. Ce
bâtiment venait en apparence de Port-Royal pour chercher des nouvelles.
Tous ces évènements demandaient la présence de M. de Boihébert. Il est
donc parti de Cocagne le 15 février (1756), laissant à sa place M. de
Grandpré de Niverville, son second, avec un nombre de Sauvages pour
continuer à harceler l’ennemi et pour y favoriser l’évasion des habitants
(sur l’Ile St-Jean) »
A présent,
voyons ce que dit M. de Vaudreuil, gouverneur du Canada, dans une lettre au
ministre, en date du 1er juin 1756 :
Le 8 février
(l’abbé LeGuerne dit le 9) un bâtiment anglais vint dans le bas de la
rivière St-Jean. Il fit des signaux français et envoya sa chaloupe à terre
pour demander un pilote, disant qu’il venait de Louisbourg chargé de
vivres. Un acadien eut la légèreté
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d’aller à son bord, mais il
n’y fut pas plus tôt que le capitaine fit hisser son pavillon et it une
décharge de son artillerie sur les Acadiens qui étaient à terre, après quoi
il se rendit dans le havre. Mais les Acadiens s’embusquèrent et fient un feu
si vif de leur mousqueterie qu’ils l’obligèrent à s’en retourner à Port
Royal.
« Les Anglais
ayant pris et fait embarquer de force à Port Royal 36 familles acadiennes
(32, dit l’abbé LeGuerne) faisant nombre de 226 personnes dans un bâtiment
portugais, pour aller à la Caroline (l’abbé LeGuerne dit à Boston, mais il
se trompe évidemment), ces Acadiens se révoltèrent, et s’étant rendus
maîtres du bâtiment, le ramenèrent à la rivière St-Jean le 12 février.
(Vaudreuil est certainement dans l’erreur, car c’est le 8 janvier qu’il faut
lire). M. de Boishébert n’a pu éviter de le faire brûler parce que le
vaisseau anglais qui l’escortait n’était pas éloigné et qu’on craignait
qu’il le prit. »
Vaudreuil se
trompe de nouveau. Le senau pris par les familles de Port-Royal et ramené
au havre de St-Jean ne fut pas brûlé par les ordres de Boishébert, puisque
celui-ci était alors au Cap de Cocagne. Ce sont les Acadiens eux-mêmes qui
le brûlèrent, nous apprend Lawrence dans une lettre datée de Halifax le 18
février 1756, au gouverneur Shirley. Voici ce que raconte l’auteur de
l’expulsion à son compère de Boston :
« J’ai envoyé
récemment un parti de Rangers dans une goélette à la rivière St-Jean. Comme
les hommes étaient habillés en soldats français et que la goélette portait
le pavillon de France, j’espérais par cette déception non seulement
découvrir ce qui se passait là, mais encore prendre et amener ici quelques
Sauvages de la rivière St-Jean. L’officier commandant y trouva un navire
anglais, un de nos bâtiments qui était parti d’Annapolis Royal chargé
d’habitants français à destination du continent. Mais les habitants s’étant
emparés du capitaine et de l’équipage l’avaient ramené dans ce
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port. Nos gens l’auraient
repris si par accident ils ne s’étaient faits sitôt connaître. Les Français
ont alors mis le feu au navire. Nos hommes ont ramené avec eux un Français
(Acadien) qui dit n’y avoir pas eu de Sauvages depuis quelque temps. Il
nous apprend que quelques uns sont avec de Boishébert à Gédaique (sic pour
Cocagne) et le reste est à l’assimaquadie. Il nous dit aussi qu’un officier
français et environ une vingtaine d’hommes sont à 23 milles en haut de la
rivière, à un endroit appelé Ste-Anne. »
Comme Ste-Anne
se nomme aujourd’hui Fredericton, et que de la ville de St-Jean à la
capitale du Nouveau-Brunswick la distance est de 85 milles, il est évident
que Lawrence a été induit en erreur par son prisonnier acadien.
Qu’est devenu ce
captif? Quel est son nom? Mystère. La tradition dit que c’est Charles
Belliveau, le héros qui s’était emparé avec ses compagnons du senau qui les
transportait à la Caroline du Sud. C’est possible, mais j’en ai des doutes
fort sérieux.
Quoi qu’il en
soit, Charles Belliveau, dont il est question ici, naquit à Port-Royal ers
1696, de l’union de Jean Belliveau, le jeune, et de Marie-Madeleine Melanson.
Le 3 novembre 1717, il épousa, à la Grand-Prée, Marguerite Granger, née en
1699, fille de René Granger et de Marguerite Therriot, avec dispense du
quatrième degré de consanguinité. Sa femme est décédée à Port-Royal le 1er
mai 1750.
Voici les
enfants issus de ce mariage :
Marguerite, née
le 9 novembre 1718 à Port-Royal, où elle fut inhumée le 17 février 1724.
Marie-Joseph,
née le 26 janvier 1721; mariée le 1er mars 1745, à Port-Royal, à
Pierre Pellerin, fils de Bernard et de Marguerite Gaudet. Pierre Pellerin,
devenu veuf, épousa, en octobre 1762, Cécile Boudreau, veuve de Jean Bte
Pitre, et fut inhumé à St-Grégoire de Nicolet, le 27 avril 1809.
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Anne, née le 20
mars 1723; mariée le 6 février 1742, à Claude Landry, fils de Claude et de
Marie Babineau.
Madeleine, née
le 14 juin 1725. Je trouve une Madeleine Belliveau mariée à Pierre Loiseau,
mais je ne saurais dire si c’est la même.
Anonyme, né le
26 avril 1727, et inhumé le lendemain.
Marguerite, née
le 15 novembre 1729. C’est peut-être la femme de Louis Doucet.
Charles
(surnommé Chaillot), né le 12 octobre 1731; marié le 20 janvier 1755, à
Osite Dugas, née le 19 décembre 1784, fille de Claude Dugas et de
Marie-Joseph Melanson. Cette Osite Dugas est dédédée à St-Jacques de
l’Achigan, près de Montréal, le 20 janvier 1820. C’est la sœur de Daniel
Dugas, né à Boston le 6 octobre 1760, marié à L’Assomption, P .Q . le 13
août 1782, à Marie-Louise Vaillant, et décédé à St-Jacques de l’Achigan le 4
juin 1838. Ce Daniel est le bisaïeul du Révd. M.A.C. Dugas, curé de St-Clet.
Je serais très reconnaissant à celui qui aurait l’amabilité de me donner la
nomenclature des enfants de Chaillot Belliveau et d’Osite Dugas.
Pierre, né le 16
mai 1734. On le trouve, un an ou deux après l’expulsion, dans le voisinage
du Coude (aujourd’hui Moncton), d’où, avec quatre braves compagnons, il se
rendit à Tintamarre (Sackville) et s’empara de la goëlette que possédait son
père à Port-Royal. J’ai raconté cet épisode de notre histoire, dans les
colonnes du Moniteur Acadien, en février 1892. A l’automne de 1765 ou au
commencement de l’année 1766, Pierre Belliveau épousa civilement, faute de
prêtre au pays, Anne Girouard, fille de Joseph et d’Anne Doucet. Ce mariage
fut ratifié à Pigiguit (Windsor) le 29 août 1768, par l’abbé Bailly. Le 12
juillet de la même année, et au même lieu, l’abbé Bailly baptisa sous
condition, Pierre Germain, né le 8 décem-
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bre 1766, de l’union de
Pierre Belliveau et d’Anne Girouard. Ce premier garçon est mort adolescent.
Pierre Belliveau
est mort à Memramcook le 16 février 1820, et fut inhumé par l’abbé Isidore
Poirier, le même qui fut plus tard curé de Ste-Anne des Plaines.
Anne Girouard,
veuve de Pierre Belliveau, est morte au même lieu, le 5 avril 1823. âgée
d’environ 74 ans, par conséquent née vers 1749. Elle était donc 15 ans plus
jeune que son mari, et s’est mariée à 17 ans.
De ce mariage
sont issus sept enfants. Je n’en mentionnerai que trois, savoir : Marie, la
deuxième des filles, épousa Jean Bourque, de Menoudie. C’est la bisaïeule de
M. l’abbé Philippe J. Belliveau, curé de la Grand’Digue.
Jean, né en
janvier 1779, et marié à Isabelle Gaudet. Il est le grand-père du Révd Père
Philippe J. Belliveau (frère du 1er L.J. Belliveau de Shédiac),
du 1er Sifroi Beliveau, de Baston, et le bisaïeul du Révd Père
Philias F. Bourgeois.
Laurent, marié à
Isabelle Melanson, est le grand-père du Révd P. Hyppolite-D. Leblanc C.S.C.,
professeur de musique à l’Université du Collège St-Joseph.
Charles
Belliveau et Marguerite Granger eurent deux autres enfants, savoir : Cécile,
née le 4 août 1737, et Modeste, née le 8 mai 1739. J’ignore ce qu’elles sont
devenues.
***
Il me reste un
dernier document se rapportant à cet épisode. C’est une lettre datée de la
rivière St-Jean, le 31 juillet 1756, et portant les signatures de Denis
St-Sceine, Charles Dugal, Joseph Guilbaud, Pierre Gaudreau et Denis
St-Sceine, fils, « au nom de tous les autres habitants à la rivière St-Jean. ».
Ces
« habitants » étaient les 32 familles de Port-Royal qui arrivèrent au port
de St-Jean, le 8 janvier 1756, et dont il a été question plus haut.
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C’est le Père
LaBrosse, jésuite, qui leur servit de secrétaire. La lettre est adressée à
l’abbé Daudin, dernier curé de Port-Royal. Mais il ne put la lire, car il
était mort lorsqu’elle arriva en France.
J’en détache le
passage suivant :
« Le reste des
habitants (de Port-Royal) a été embarqué dans six navires le 4 décembre;
cinq de ces navires ont fait voile vers les côtes de Boston et de la
Caroline, les gens du Cap, les Boudrault, Charles Dugas et les Guilbault,
deux familles des Granger qui étaient dans un de ces navires, se sont
révoltés et sans aucune défense des Anglais, se sont rendus maître du navire
et sont arrivés heureusement à la rivière St-Jean, d’où nous avons l’honneur
de vous écrire présentement… Nous avons été attaqués par un corsaire anglais
qui nous poursuivait dans notre fuite; nous l’avons contraint de se retirer
après un petit choc, sans aucune perte de notre côté ».
Par « les gens
du Cap », il faut entendre Charles Belliveau, etc.
En effet, c’est
précisément au Cap de Port-Royal que se trouvait l’habitation de Charles
Belliveau. J’ai quelque part dans mes paperasses une liste donnant les noms
des habitants de cet endroit, et je me rappelle très bien que celui de
Charles Belliveau y est.
J’ai fait
connaître tantôt qui était Charles Belliveau, et quels furent ses
descendants. Voici quelques renseignements sur la famille St-Sceine, dont il
est question dans l’extrait de la lettre que je viens de citer.
La tige de ce
nom en Acadie fut un médecin nommé Denis Petitot dit St-Sceine, qui épousa à
Port-Royal, en 1689, Marie Robichaud, née en 1672, fille d’Etienne et de
Françoise Boudreau.
Je ne connais
que quatre enfants issus de ce mariage, savoir :
Denis, né en 1690; marié à Port-Royal, le
23 avril
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1711, à Marguerite Landry,
fille de Claude et de Marguerite Terriot.
C’est le Denis
St-Sceine dont le nom figure le premier parmi les signataires de la lettre à
l’abbé Daudin. Il fut inhumé à Québec, le 31 janvier 1758 « ägé de 65 ans »,
dit le registre. C’est 68 qu’il faut lire.
Marie, née en
1692; décédée, non mariée, à Port Royal, le 21 juillet 1746, âgée de 54 ans.
Madeleine,
mariée, à Port Royal, le 22 janvier 1714, à Jean Melanson, fils de Charles
et de Marie Dugas.
Charles Melanson,
issu de ce mariage, le 19 janvier 1725, épousa à Port Royal, le 17 janvier
1746, Anne Breau, et presque tous les Melanson des comtés de Westmoreland et
de Kent sont ses descendants.
Jean, autre
enfant issu de ce mariage, le 9 janvier 1728, épousa, à Port Royal, le 9
octobre 1753, Anne Landry, fille de Pierre et de Marguerite d’Entremont. On
le trouve, avec sa femme, au printemps de 1767, à Cherbourg, où il travaille
en ce port du métier de charpentier. Il reçoit de l’Etat une pension de 200
livres (840), et sa femme qui était grabataire recevait 350 livres. (La
livre française d’autrefois est le franc de nos jours, soit 20 centins).
Denis, autre
enfant, né le 28 avril 1733, faisait en Acadie le commerce de la pêche. Il
est poitrinaire et très infirme et sa pension est de 150 livres.
Madeleine, sœur
des trois frères précédents, née le 24 septembre 1718, se maria le 23
janvier 1741, à Jean Granger, fils de Laurent et de Marie Bourg. On la
trouve également à Cherbourg, en 1767. Elle est attaquée de différentes
maladies et très infirme. Sa pension est de 150 livres. Jean, son fils, âgé
de 26 ans, né le 14 novembre 1741, est avec elle, et va à la pêche du
poisson frais. Il reçoit une pension de 200 livres. Le 7 mai 1764, il a
épousé à Cherbourg, Madeleine Mius d’Entremont, née à Pobomkou, en 1741,
fille de Joseph et de Marie Joseph Molaison. La pension de la femme
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de Jean Granger est de 300
livres. Jean Désiré Cyriaque Granger, né le 31 mai 1848, petit-fils de Jean
et de Marie-Mius d’Entremont, a écrit de Cherbourg plusieurs lettres à mon
vieil ami, M. Hilarion d’Entremont, de Pubnico, son parent. C’est ce M.
Granger qui a les armes de la famille d’Entremont.
Marie Melanson,
née le 1er septembre 1714, fille aînée de Jean Melanson et de
Madeleine Petitot St-Sceine, épousa en 1732, Joseph Bergeron, du Village
Ste-Anne,, à la rivière St-Jean. Il y a de ses descendants dans la province
de Québec.
Anne Melanson,
sa sœur, baptisée à Port Royal, le 9 juin 1716, est à Cherbourg en 1767.
J’ignore quel fut son premier mari. Mais en 1767 on la trouve remariée à
Eustache Paré, natif de Louisbourg, âgé de 43 ans, et recevant une pension
de 150 livres. Le document d’où je tire ces renseignements sur les Acadiens
à Cherbourg, en 1767, dit qu’il va à la pêche du poisson frais, et qu’il
était mariée en première noces à Nastasie Bellefontaine, celle qui a été
massacrée à la rivière St-Jean par les Anglais, avec trois de ses enfants.
Pierre Paré dit
Laforest, père d’Eustache ci-dessus, soldat à Port Royal, épousa au dit
lieu, le 3 février 1707, Jeanne Dugas, fille de Claude et de Françoise
Bourgeois.
Marguerite
Melanson, autre sœur des précédentes, née le 7 avril 1722, épousa, à
Port-Royal, le 23 janvier 1741, Jean Belliveau, né le 3 novembre 1713, fils
d’Antoine et de Marie Terriot. Ce ménage fait baptiser à Port-Royal les
enfants suivants : Joseph, né le 3 novembre 1741, marié à Bécancour le 5
janvier 1772, à Rosalie Richard, fille de Joseph et de Françoise Cormier, et
fut inhumé à Nicolet le 26 septembre 1795. Charles, né 20 mai 1744;
,,,,,,,,,, 1746. Pierre, né le 25 mars 1748; Marguerite, née le 22 avril
1750; Jean, né en 1752(?); David, né en 1754(?); François, né à
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la Nouvelle-Angleterre en
1756 (?), marié à Nicolet le 5 février 1787 à Marie-Anne Poirier
(Acadienne); Madeleine, mariée à Nicolet le 29 janvier 1787, à François Hély,
et Marie « née dans le gouvernement de Boston, le 27 mars 1762 » fut
baptisée à Québec le 4 juillet 1767. Le sort de Pierre, né le 13 juin 1730,
et d’Elizabeth, née le 10 septembre 1735, autres enfants de Jean Melanson et
de Madeleine Saint-Sceine, m’est inconnu.
Quant à Anne
Saint-Sceine, la dernière des filles du chirurgien Denis St-Sceine et de
Marie Robichaud, elle épousa, à Port-Royal, le 11 janvier 1717, Jean Landry,
fils de Claude et de Marguerite Terriot. Ce ménage fait baptiser le 29 mars
1718, un garçon, à Port-Royal, nommé Joseph, né le 31 janvier précédent, et
émigre après cela, à Pobomkou, chez les d’Entremont.
PLACIDE GAUDET
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